Transformer nos usages et protéger le vivant, deux conditions de la sécurité alimentaire
La transformation du paysage agricole est conditionnée à l’évolution des habitudes alimentaires et, enrayer une partie de l’érosion de la biodiversité grâce à une agriculture plus adaptée au climat, ne peut s’envisager qu’avec l’adhésion du consommateur.
« Pourquoi les industriels continuent-ils à produire des tomates sous serres chauffées en hiver ? Pourquoi importe-t-on des avocats de l’autre bout du monde ? Parce qu’il y a une demande, rappelle comme une évidence l’agroclimatologue Serge Zaka. Il y a un manque d’éducation par rapport au respect de la nourriture, au gaspillage. On a de l’aubrac dans les prairies du centre de la France, par exemple. Eh bien, il vaut mieux vaut une entrecôte plus chère par semaine que trois venant de l’Europe de l’Est ou d’Argentine. » Alors comment orienter sa consommation vers les bons choix ? En se dotant notamment d’outils pour comparer et évaluer les produits, tels que l’affichage environnemental Planet-Score, pensé pour informer de manière incitative le consommateur, et de là, motiver les producteurs en amont. De nombreuses marques et enseignes sont engagées dans ce « scoring » relatif aux pesticides, à la biodiversité et au climat et, un tel étiquetage environnemental devra figurer sur les emballages alimentaires en 2023, en vertu des lois antigaspillage pour une économie circulaire (Agec) de 2020 et Climat et résilience de 2021. Un élément essentiel pour la filière agricole notamment, alors que les sécheresses de 2022 ont sonné comme une prise de conscience générale.
Penser et repenser tout le cycle
« Le climat évolue : il faut faire évoluer les espèces, explique Serge Zaka. Pour les sols les moins profonds et les plus séchants du sud de la France, par exemple, le sorgho peut remplacer certaines plantations de maïs, mais pas toutes, car le maïs restera encore assez rentable, du moins jusqu’en 2050.
Le climat évolue :
il faut faire évoluer
les cultures
Il y a aussi le mil, le millet, la pistache, les agrumes…, rappelle l’agroclimatologue qui, avec la société ITK, développe des outils d’aide à la décision pour l’agriculture. Et ce n’est pas un changement qu’on peut faire en un claquement de doigts. » Cela nécessite une planification des filières du futur. « Le sorgho peut être intéressant à être implanté, mais il n’y a pas suffisamment de débouchés. Pourquoi les agriculteurs se mettraient-ils à planter massivement du sorgho si personne n’en achète ? Cela ne dépend donc pas que des agriculteurs mais aussi de l’industrie agroalimentaire et de l’État, qui peut apporter son soutien financier à des nouvelles filières, comme il l’a fait pour le blé et le maïs à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, poursuit Serge Zaka. Il faut penser à toute la filière : production, stockage, vente, consommation. »
Acculturer et accélérer
Envisager des cultures adaptées au climat, c’est aussi la perspective d’utiliser moins d’intrants et donc une meilleure protection de la biodiversité. Avec une vision à long terme car, selon les récentes projections du CNRS, de Météo France et du Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique (Cerfacs), le réchauffement climatique en France d’ici 2100 pourrait être de 50 % plus intense que ce que l’on pensait : + 3,8 °C par rapport au début du XXe siècle. En affinant les modèles du Giec à l’échelle du pays, les chercheurs ont ainsi voulu développer un outil pour accélérer les décisions nationales, avant de passer au niveau régional. Car c’est aussi à cette échelle du territoire, celle de l’action concrète pour l’adaptation au changement climatique que beaucoup se joue. Et en premier lieu avec l’acculturation des élus locaux, partenaires essentiels de la transformation.
L’enjeu des pollinisateurs
Près de 90 % des plantes à fleurs dépendent de la pollinisation par les insectes. Or, leur déclin mondial est constaté par l’IPBES(1). En France, la contribution de la pollinisation à l’agriculture est évaluée entre 2,3 et 5,3 milliards d’euros. Un Plan national en faveur des insectes pollinisateurs et de la pollinisation (2021-2026) a donc été lancé. En plus de l’apiculture, 20 000 espèces sauvages jouent un rôle. Pour un champ de colza par exemple, il faut compter sur les services de l’abeille mellifère, du bourdon, des abeilles solitaires, des mouches… Un levier d’action se situe dans les choix de végétalisation des collectivités en privilégiant les plantes locales à des variétés ornementales constituant des leurres écologiques.
(1) Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques