Norvège • Le grenier à grains de l’humanité
En Arctique, dans l’archipel recouvert de glace du Svalbard, un coffre-fort sous-terrain conserve les « doubles » de plus de 1 165 000 variétés de graines vivrières, confiées par les banques de graines du monde entier.
Il existe environ 1 700 banques de graines dans le monde, mais toutes ne sont pas forcément bien gérées : elles peuvent être incomplètes, exposées à des risques naturels ou aux conflits géopolitiques. Or, la perte d’une variété de semence est irréversible, au même titre que l’extinction d’une espèce animale. Pour pallier ce risque, un consortium international a inauguré, en 2008, sous l’impulsion de la Norvège, le coffre-fort mondial de graines du Svaldbard (Svalbard Global Seed Vault), une réserve mondiale de graines vivrières creusée dans une montagne enneigée.
95 % de notre alimentation repose
sur moins de trente espèces de plantes
Cet archipel du bout du monde, situé en Arctique, à 600 kilomètres au nord des côtes norvégiennes et à 1 000 kilomètres sous le pôle Nord, a été choisi car vu comme préservé des aléas climatiques et des tensions géopolitiques. Depuis, les scientifiques ont montré que l’Arctique se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète et d’importantes opérations de consolidation et sécurisation du site ont été nécessaires. Néanmoins, plus d’un million d’échantillons y ont été déposés par des dizaines de pays pour mettre leurs collections de graines à l’abri. Le gestionnaire du site, l’organisation internationale Global Crop Diversity Trust, fondée sous l’égide de l’ONU, indique pouvoir stocker jusqu’à 4,5 millions d’échantillons, et seuls, seuls les organismes ayant confié leurs semences peuvent les retirer.
La banque des banques
Le coffre-fort a tristement et rapidement prouvé son utilité. Notamment quand la banque de graines syrienne fut détruite, en 2014, à Alep. Heureusement, des copies étaient stockées au Svalbard : en 2015, les scientifiques syriens ont pu retirer 38 000 échantillons de la montagne gelée pour en refaire des copies et les planter dans de nouveaux sites au Maroc et au Liban. Ils ont ainsi démontré l’intérêt de cette « copie de sauvegarde ». En 2020, la nation Cherokee a été le premier groupe indigène d’Amérique du Nord à y déposer neuf semences antérieures à la colonisation européenne, dont leur maïs sacré. La France, premier producteur européen de semences, y entreposait au même moment plus de 5 760 échantillons. Le coffre-fort mondial de graines du Svaldbard s’est ainsi imposé comme la banque des banques. Les graines y sont déshydratées, conditionnées dans des sachets en aluminium qui en contiennent en moyenne 500, congelées à -18 °C au plus, et stockées dans les chambres froides situées au bout d’un long tunnel d’une centaine de mètres. La roche de la montagne et le permafrost assurent que les graines resteront congelées, même en cas de coupure d’électricité. Depuis 1945, les variétés qui fournissent la base de notre alimentation se sont dramatiquement appauvries : aujourd’hui, 95 % de notre alimentation repose sur moins de trente espèces de plantes, et neuf espèces (canne à sucre, maïs, riz, blé, pomme de terre, soja, palmier à huile, betterave, manioc) comptent pour 66 % des récoltes mondiales, selon la FAO. L’industrie agroalimentaire se focalisant sur un petit nombre de plantes, 80 % des variétés de légumes cultivées ont disparu… Or, ces variétés renferment peut-être des solutions naturelles d’adaptation au changement climatique.