« Un projet éolien ne peut être qu’un projet de territoire, fait avec et pour le territoire »
Vous aviez déjà une longue expérience du secteur avant de prendre la tête de l’éolien en mer il y a dix-huit mois chez RWE France…
J’y travaille depuis 2007, mais j’ai encore les yeux qui pétillent dès qu’on parle d’éolien en mer. Chaque fois que je me rends sur un parc offshore, je suis frappé par une forme de simplicité dans la production électrique, qui tranche avec les délais de développement très longs de ces parcs, notamment en France.
J’ai fait beaucoup de terrain. J’ai par exemple initié fin 2007 le parc de Fécamp que j’ai développé pendant dix ans, entouré de personnes compétentes et passionnées. Au fil des années, j’ai constaté combien la concertation est indispensable. Un projet éolien ne peut être qu’un projet de territoire, fait avec le territoire et pour le territoire. Il est donc essentiel d’éclairer dès l’origine les acteurs locaux sur les enjeux de l’éolien en mer et d’accepter la confrontation, voire l’opposition, afin de parvenir à des consensus entre les opérateurs et les pêcheurs, les plaisanciers, les responsables du patrimoine, l’économie maritime, etc. La plupart du temps, une vision partagée favorise l’acceptabilité. Il n’y aura pas de transition énergétique sans développement massif des renouvelables, ce qui nécessitera de la cohésion. En 2050, l’éolien en mer devra fournir environ 25 % de l’électricité française.
Quelles sont les ambitions de RWE dans l’éolien en mer en France ?
À l’échelle mondiale, RWE a vingt ans d’expérience, 18 parcs en opération, deux en construction et plus de 16 gigawatts (GW) en développement. Cela fait de nous les numéro 2 de l’éolien en mer. Nous avons récemment remporté plusieurs appels d’offres au Danemark, au Royaume-Uni, aux États-Unis… Nous investissons massivement dans l’innovation : premières pales recyclables au monde, éolien flottant, couplage entre éolien en mer et production d’hydrogène vert…
En 2050, l’éolien
en mer devra
fournir environ
25 % de l’électricité
française.
En France, notre ambition est d’apporter l’expertise du groupe à des projets complexes, à la pointe de la technologie, innovants, sûrs et créateurs de valeur pour les territoires. Nous savons l’importance de nous connecter dès l’origine des projets avec la supply chain des territoires d’implantation mais aussi la valeur des coopérations internationales. Nous travaillons par exemple déjà avec l’industrie française : les Chantiers de l’Atlantique, qui nous accompagnent en Pologne, ou Bourbon en Norvège, sur un démonstrateur d’éolien flottant. Nous avons déjà une équipe d’une vingtaine de personnes dédiées à l’éolien en mer en France, riches d’une grande expérience acquise en France et à l’international. Cette équipe est très présente dans les territoires, afin de les intégrer à nos projets dès la phase d’appel d’offres. C’est ce que nous faisons pour la Normandie, la Bretagne et la Méditerranée (les derniers appels d’offres en cours, ndlr). Je suis très attaché au collectif : un capitaine ne serait pas grand-chose sans ses matelots.
En quoi l’éolien en mer peut-il contribuer au développement économique français ?
Quatre des douze sites industriels européens de construction d’éoliennes en mer sont implantés en France. La filière française représente déjà plus de 6 000 emplois. Une partie significative de son activité repose sur la coopération internationale. Dans les 25 prochaines années, la capacité installée de l’éolien en mer en Europe va être multipliée par 10 : 400 GW en 2050 contre 35 environ aujourd’hui. La croissance et la pérennité de notre filière nationale dépendra donc de sa capacité à répondre à la demande française mais aussi à augmenter son positionnement à l’export. Dans ce contexte, c’est intéressant pour les industriels français d’échanger avec des acteurs d’expérience tels que RWE, dotés d’un carnet de commandes à l’international, d’opportunités d’affaires et d’expertises pour les y aider.
La filière française
représente déjà plus
de 6 000 emplois.
Je rêverais de voir la « déclaration de l’Atlantique » et celle de la Méditerranée, sur le modèle de la déclaration d’Esbjerg signée en mai 2022 par la Belgique, le Danemark, l’Allemagne et les Pays-Bas, qui se sont fixé un objectif commun de 150 GW en mer du Nord d’ici à 2050. Nous avons l’espace, les ressources en vent, les industriels et les ports pour cela. Sans compter l’arrivée du flottant, qui ouvre de nouvelles perspectives de croissance pour la France où les fonds peuvent atteindre des profondeurs importantes quand on s’éloigne de la côte pour capter les meilleurs régimes de vent.
Sommes-nous prêts pour exploiter ce potentiel ?
Oui, à condition d’accélérer. Pour atteindre l’objectif du pacte éolien en mer signé au printemps, soit 20 GW attribués en 2030, il faut tenir dès 2023 un rythme annuel de 2 GW de projets attribués. À ce jour, la moitié seulement de ces zones sont identifiées, et il faut en trouver d’autres pour les 10 GW manquants. La planification maritime à finaliser en 2024 doit donner les contours spatiaux, volumétriques et temporels de ce développement pour atteindre nos objectifs (40 GW en 2050, soit 2 % de l’espace maritime métropolitain, ndlr). Une vision globale déclinant l’objectif politique en cartographie est indispensable.
Nous devons rationaliser notre développement offshore et nous donner les moyens d’atteindre nos objectifs, qui sont tout à fait réalistes. En comparaison, l’Allemagne et les Pays-Bas visent 70 GW chacun en 2050, le Royaume-Uni, 10 GW ! Cette visibilité sur les dates d’appels d’offres, d’attribution, de mise en service des parcs, est nécessaire pour favoriser les investissements. Les différentes phases de projet doivent être rééquilibrées, car aujourd’hui la phase des procédures administratives est la plus longue. Un même débat public doit porter sur plusieurs zones à la fois, ce qui est aujourd’hui possible. À terme, les délais de développement entre les premiers projets offshore et les prochains doivent être réduits au moins de moitié.
Cette évolution nécessaire est en cours, un important travail législatif et réglementaire a déjà été entamé pour accélérer le processus.
Pierre Peysson, la passion de l’éolien en mer
Ingénieur de formation et diplômé de Sciences Po Paris, Pierre Peysson fait partie des pionniers de l’éolien en mer en France. Il rejoint dès 2007 ce secteur, un microcosme à l’époque. Au sein de wpd France, il est pendant dix ans chef de projet sur le parc de Fécamp, dont il est à l’origine. Il prend ensuite la responsabilité du business development éolien offshore pour l’entreprise, puis dirige le développement solaire et une task force dédiée à l’hydrogène vert pendant deux ans. Il a occupé diverses fonctions au sein des syndicats professionnels (SER, FEE) en représentant les intérêts de la filière au niveau national et régional. À 41 ans, il dirige depuis avril 2021 l’activité « éolien en mer » de RWE France.