Les territoires en première ligne dans la décarbonation de l’industrie française
Durement frappés par la désindustrialisation de ces dernières décennies, les territoires disposent aujourd’hui de nombreux atouts pour contribuer à décarboner les sites industriels qui y sont implantés tout en créant de nouveaux emplois.
À l’image des bassins miniers et des hauts-fourneaux du Nord et de l’Est de la France, certains territoires symbolisent dans l’imaginaire collectif la désindustrialisation entamée dans les années 1970. Au-delà de ces régions particulièrement éprouvées, « le développement massif des services à valeur ajoutée a privilégié depuis vingt ans les grandes villes et les métropoles au détriment des villes moyennes, laissant de vastes portions du territoire en déshérence », pointe un rapport de la Fondation Concorde de décembre 2021. Sur la dernière décennie, 80 % de la croissance du PIB par habitant ont été générés dans les quinze métropoles françaises. Mais les territoires ont aujourd’hui un rôle essentiel à jouer dans la décarbonation de l’industrie : 70 % des usines étant implantées à proximité de villes petites et moyennes, c’est là que les solutions concrètes sont mises en œuvre. D’abord à l’échelle de chaque site industriel, qui, de plus en plus, se soucie de son environnement immédiat. Car c’est à l’échelle locale que convergent les enjeux de pollution, de préservation des ressources naturelles et d’impacts liés au changement climatique. Et c’est à cette échelle que l’industrie peut nouer un lien pérenne avec son environnement. Cela vaut notamment pour les carrières et autres sites de stockage, de traitement des déchets, ou de toute activité notoirement polluante. Mais ces enjeux concernent plus largement tous types d’industrie ayant une emprise sur un territoire.
La proximité entre les hommes fait la force des territoires
Cependant, si les territoires ont un rôle aussi crucial à jouer, c’est surtout parce que les pistes pour décarboner l’industrie reposent majoritairement sur des relations privilégiées entre des entreprises appartenant à un même écosystème. Poussés à l’extrême à Kalundborg au Danemark (voir p. 34), qui en reste l’exemple le plus abouti, les principes de l’écologie industrielle font des déchets des uns des ressources pour d’autres. Cela vaut pour des coproduits, des eaux industrielles, de la chaleur fatale… Plus que tout, c’est la proximité géographique qui permet de mettre en regard le plus finement possible l’offre et la demande.
70 % des usines
sont implantées
près de villes petites
et moyennes.
C’est aussi grâce aux nouvelles technologies telles que le big data et l’intelligence artificielle, qui permettent de brasser la multitude de données d’un territoire, qu’il devient possible d’adapter la production – d’énergie par exemple – au plus près des besoins réels.
C’est bien dans cette logique que les promoteurs de l’hydrogène vert, présenté comme un levier central de la décarbonation industrielle, ont raisonné sur une base territoriale pour établir leur feuille de route. Fondée sur une méthodologie alliant cartographie des projets hydrogène et regroupement des pôles de consommation et de production, l’étude « Trajectoire pour une grande ambition hydrogène » publiée par France Hydrogène en septembre 2021 dimensionne ainsi sept grands bassins concentrant à terme 85 % de la demande totale. Elle mise sur des chaînes d’approvisionnement intégrées à l’échelle de ces bassins pour réduire les coûts grâce aux économies d’échelle en mutualisant à la fois la production et les usages.
Aussi essentielle que la proximité géographique, et condition sine qua non de l’invention de telles solutions, c’est la proximité entre les hommes qui fait la force des territoires. La multiplicité des occasions et des lieux physiques de rencontres entre différents acteurs d’un même territoire favorise les synergies et les collaborations. C’est au sein de ces écosystèmes que se déploient la pollinisation des idées, la mutualisation des forces et des ressources et la coopération autour de projets imaginés puis construits en commun.
Le « made in France » s’étend aux acteurs du B to B
Face à l’appétence des clients et usagers pour les circuits courts et des produits et services responsables et locaux ainsi qu’aux attentes des pouvoirs publics, l’industrie renoue peu à peu avec l’ancrage territorial. À la vague d’une mondialisation à tout-va succède chez les consommateurs une envie de territoire, de proximité, d’authenticité, particulièrement vivace dans l’agroalimentaire, mais qui atteint peu à peu tous les pans de l’économie.
Cette même recherche d’ancrage local s’étend désormais aussi aux acteurs du B to B (« business to business ») qui n’interagissent pas directement avec le client final. Cela se traduit par une préférence pour des fournisseurs de proximité, qui s’inscrit dans un retour en grâce du « made in France », voire, plus précisément encore, du recours à des matériaux et à des savoir-faire locaux.
Olivier Lluansi, qui en était le délégué général, rappelle que les Territoires d’industrie, initiative lancée en 2018 par le Premier ministre Édouard Philippe, ont révélé une forte « envie d’industrie ». Les 150 territoires labellisés, qui « ne manquent ni d’idées, ni d’ambition, ni de ressources financières », constituent une formidable mine de projets. Mais ils peinent encore à attirer les bras et les cerveaux, ainsi que l’ingénierie de projet et de financement, qui leur permettraient de mener leurs projets à bien.