La France face à deux impératifs : décarboner et réindustrialiser
Dans une Europe qui cherche à relocaliser des activités stratégiques pour recouvrer souveraineté et indépendance, la France mise sur les activités nécessaires à sa décarbonation pour réduire son empreinte carbone tout en se réindustrialisant.
Difficulté à s’approvisionner en masques puis en vaccins, usines contraintes de tourner en sous-régime faute de composants fabriqués à l’autre bout du monde… Le Covid-19 a révélé la fragilité d’une économie mondialisée, symbolisée par le porte-conteneur bloquant le Canal de Suez en mars 2021.
Cette dépendance à certaines régions ou pays est d’autant plus problématique quand les tensions géopolitiques s’en mêlent. À l’origine de pénuries telles que celle du blé, la guerre menée en Ukraine par la Russie révèle surtout la dépendance de l’Europe de l’Ouest aux énergies fossiles russes et la difficulté de s’en affranchir. Plus récemment, la crise taïwanaise déclenchée par la visite de la présidente de la Chambre des représentants américaine Nancy Pelosi a fait planer la menace d’une pénurie de semi-conducteurs. Dans un autre registre, la sécheresse au Canada, premier producteur mondial de graines de moutarde, a vidé les rayons des supermarchés européens. On anticipe que de tels événements extrêmes liés au dérèglement climatique vont se multiplier à l’avenir, et les pénuries avec.
« Les industriels, qui subissent encore des pénuries ponctuelles mais récurrentes, l’ont compris et cherchent à diversifier et à régionaliser leurs chaînes d’approvisionnement à l’échelle européenne », souligne Olivier Lluansi, coauteur avec Anaïs Voy-Gillis de Vers la renaissance industrielle (Éditions Marie B).
Dans un souci de résilience et de souveraineté, la relocalisation d’activités stratégiques est devenue un leitmotiv européen, qui se concrétise d’abord par des gigafactories de batteries pour voitures électriques.
La décarbonation devient une pièce maîtresse des politiques industrielles
Loin d’être la seule exposée à ces menaces, la France se distingue par une forte désindustrialisation qui a vu la part de l’industrie dans son PIB divisée par deux depuis les années 1970. Or, rappelle la Fondation Concorde dans un rapport de décembre 2021, « l’industrie est le premier déterminant de la croissance économique », elle dynamise l’emploi dans toute l’économie « car un emploi industriel mobilise un emploi dans les services », et constitue un « secteur décisif pour la balance commerciale et l’équilibre des comptes publics ».
L’industrie est le premier
déterminant de la croissance
économique.
D’ailleurs, depuis la fin des années 2000, diverses politiques industrielles françaises tentent d’inverser la tendance : États généraux de l’industrie en 2009, Nouvelle France industrielle en 2013 pour moderniser l’outil industriel français et transformer son modèle économique par le numérique, Territoires d’industrie en 2018 avec un objectif de « reconquête industrielle et de développement des territoires »…
Mais la crise climatique et l’impératif de décarbonation se sont entretemps invités dans l’équation. La France comme l’Union européenne se sont fixé un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. La Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) définit pour chaque secteur d’activité les budgets carbone permettant d’y parvenir. Pour l’industrie, elle prévoit une baisse des émissions de 33 % en 2030 et 81 % en 2050, objectifs qui pourraient être rehaussés lors de la prochaine révision de la SNBC.
Ces deux objectifs de réindustrialisation et de décarbonation sont plus convergents qu’il n’y paraît. La relocalisation d’activités industrielles sur notre sol mettrait un terme à la hausse de notre empreinte carbone liée à celle de nos émissions importées (+ 72 % entre 1995 et 2019).
Mieux, la décarbonation devrait être un levier de la réindustrialisation : énergies renouvelables, pompes à chaleur pour remplacer le chauffage au gaz, usines de batteries ou d’électrolyseurs pour produire de l’hydrogène, développement du recyclage… Construire un nouveau modèle français décarboné permettant d’atteindre le plein emploi était d’ailleurs l’objectif du Pacte productif annoncé par Emmanuel Macron en avril 2019. Et après le plan de relance de l’automne 2020 dont c’était déjà l’un des principaux objectifs, France Relance, annoncé en février 2022, consacre la moitié des 54 milliards prévus à la décarbonation de l’industrie.