Un investissement vital de performance économique et sociale
S’il veut porter pleinement ses missions d’inclusion, d’insertion professionnelle et de compétitivité, l’enseignement supérieur doit relever plusieurs défis majeurs.
AgroParisTech, ENS, Polytechnique, HEC… Depuis plusieurs mois, une fronde écologique gagne les plus prestigieux campus de France. Menée par de jeunes diplômés, elle exprime leur rejet des systèmes académiques qui les ont formés et du système économique qu’ils sont censés rejoindre. Si l’écho médiatique du phénomène peut tromper quant à sa représentativité réelle, cette bronca n’en demeure pas moins significative, dépassant sans doute de très loin le seul stade d’un « signal faible ». Elle marque la naissance dans le système de formation d’une fissure sournoise entre offre et demande et souligne la nécessité pour l’enseignement supérieur d’adapter très vite ses modèles aux transformations du monde. Le sujet environnemental va rapidement devenir central, et sa criticité ne fera que mettre en lumière l’urgence d’autres réformes. Si elles veulent être au cœur et au service de la société, porter pleinement leurs missions sociales (inclusion) et économiques (compétitivité), tout en garantissant aux étudiants et aux élèves une bonne employabilité, universités et écoles doivent relever plusieurs défis.
Réduire les inégalités
L’accès à l’enseignement supérieur s’est sensiblement développé dans les dernières décennies, mais les inégalités face aux études demeurent très marquées, et elles ne manquent pas d’être avivées par les mauvaises conditions de prise en charge de la vie étudiante à l’université. À la différence de nombreux pays, notamment européens, l’accompagnement social, le logement, la restauration et l’organisation de la vie étudiante en France restent principalement gérés par les acteurs externes que sont le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous) et les 27 centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous). La simplification de cette organisation peu lisible, qui multiplie les guichets, serait un facteur d’harmonisation.
Valoriser les parcours féminins
Autre terrain de réforme : la valorisation des parcours féminins, depuis les études jusqu’à l’insertion professionnelle et l’emploi. Les femmes, qui représentent 56 % des étudiants, sont largement majoritaires dans les filières universitaires de Lettres ou de Sciences humaines et dans les formations paramédicales ou sociales, mais elles sont globalement très minoritaires dans l’ensemble des filières scientifiques. En 2019-2020, elles ne représentent qu’un peu plus d’un quart des effectifs dans les écoles d’ingénieurs.
Réguler le secteur privé
Parce que ces manquements dans leur mission d’inclusion et de diversité innervent mécaniquement les organisations du travail, les établissements portent une vraie responsabilité dans la cristallisation de certaines fractures socio-économiques. À cet égard, la partition du système français entre universités et écoles doit être interrogée.
En dix ans, le nombre d’enseignants
a baissé de 2 %, pendant que le nombre
d’étudiants augmentait de 20 %
La quasi-totalité des écoles de commerce, gestion ou comptabilité, relève du secteur privé. En vingt ans, les inscriptions d’étudiants dans les établissements privés ont doublé, tandis qu’elles n’ont augmenté que de 17 % dans l’enseignement public. Avec une promesse d’employabilité plus que d’excellence académique, le secteur privé agit comme une soupape permettant au système global de ne pas exploser. Mais son essor renvoie à des réalités moins positives. Les écoles doivent rémunérer leurs investisseurs, et la première façon de gagner de l’argent, c’est d’augmenter leurs effectifs. Le secteur privé, où cohabitent enseignements de qualité et acteurs opportunistes, doit faire l’objet d’une meilleure régulation.
Développer la formation continue
Le développement de la formation continue constitue un autre axe majeur de connexion à des organisations du travail en mouvement permanent. Or, là encore, les grandes écoles prennent l’avantage, avec 90 % des masters spécialisés d’ores et déjà proposés en formation continue. Le système public a un gros effort à mener pour promouvoir les programmes dédiés aux professionnels. En 2018, le chiffre d’affaires de la formation continue au sein des établissements publics ne dépassait pas 480 millions d’euros.
Anticiper les transformations ne signifie pas surréagir politiquement à chaque diagnostic de changement. Ainsi, s’il semble pertinent que les grandes écoles, les organismes de recherche et les universités d’un même territoire coordonnent leurs actions dans le but de rationaliser les coûts et de grimper dans les classements mondiaux, le remodelage institutionnel du paysage universitaire engagé depuis quelques années se fait souvent à marche forcée. Le développement à l’œuvre de regroupements, donnant lieu à de véritables mégastructures, n’a de sens que si l’on se donne les moyens de mesurer leur efficacité au regard d’objectifs précisément définis. Après tout, la plupart des universités de réputation mondiale ne dépassent pas les 15 à 20 000 étudiants.
Mieux payer les enseignants
Enfin – et peut-être avant tout – le système souffre de la faiblesse de l’encadrement pédagogique, en particulier pour la première année de licence. En dix ans, le nombre d’enseignants a baissé de 2 %, pendant que le nombre d’étudiants augmentait de 20 %. Il faut renforcer les moyens accordés à l’université. Alors que la Suède dépense environ 21 000 euros par étudiant, la France plafonne à 14 000 euros en moyenne. La baisse du financement par étudiant peut affecter le taux de réussite et la qualité des formations, avec des conséquences négatives à long terme sur le marché du travail, la productivité et l’innovation. D’un point de vue économique, la dépense publique d’enseignement supérieur doit être considérée comme un investissement vital de performance économique et sociale. La revalorisation salariale des enseignants, bien moins payés en France que chez la plupart de nos voisins, serait un bon signe donné dans ce sens.