L’ÉDITO DE THOMAS BONNEL
Il est de bon ton d’accuser l’enseignement supérieur français de déphasage avec le « monde du travail » : il serait trop académique, pas assez professionnalisant, irréformable – on se rappelle le temps où un ministre prétendait « réformer le mammouth ». N’exagérons rien. S’il est loin d’être parfait, l’enseignement supérieur a engagé au fil des dernières décennies des transformations importantes pour répondre aux contraintes économiques et sociales ainsi qu’aux évolutions du marché de l’emploi.
De fait, l’insertion dans le monde du travail des diplômés de l’enseignement supérieur est bien supérieure à celle des non-diplômés. De nombreuses initiatives y contribuent : formations professionnalisantes, coopérations entre établissements et entreprises, chaires d’enseignement et de recherche, bourses d’études, intervention de professionnels dans les programmes, etc. Sans parler de l’explosion de l’alternance : en 2021, 62 % des 718 000 contrats d’apprentissage signés l’ont été pour préparer un diplôme ou un titre de l’enseignement supérieur. Efforts d’autant plus louables que notre modèle d’enseignement supérieur est en butte à deux difficultés majeures.
D’abord, l’assèchement de la ressource publique. La France ne consacre qu’1,2 % de sa richesse à l’enseignement supérieur, contre 2 % pour les nations qui lui consacrent le plus. En dix ans, le nombre d’enseignants a baissé de 2 %, pendant que le nombre d’étudiants augmentait de 20 %. Ensuite, la dichotomie – très française – entre l’Université et les grandes écoles. Quand l’une se consacre à la promotion de tous les bacheliers, les autres se montrent sélectives et élitaires. Et elles sont les grandes gagnantes quant à l’employabilité.
Certes, en cinquante ans, l’Hexagone a comblé son retard dans la formation supérieure de sa population, avec une proportion de diplômés similaire à celle des autres pays européens. Mais beaucoup reste à faire quant à l’égalité d’accès et de réussite aux études. En France, un enfant d’ouvrier a sept fois moins de chances qu’un enfant de cadre supérieur ou d’enseignant d’accéder à l’enseignement supérieur.
Sans doute la principale difficulté de l’enseignement supérieur renvoie-t-elle à la question de la gouvernance : plus autonomes et plus agiles, les établissements pourraient attirer davantage, recruter mieux et offrir de meilleurs débouchés. Or, la dépense publique d’enseignement supérieur est un investissement vital pour la réussite économique et sociale. Mais elle exige des coopérations plus franches entre tous les acteurs de l’écosystème de formation et d’emploi.
À cet égard, la capacité des territoires à animer le triangle universités-recherche-grandes écoles est sans doute le défi majeur à relever d’urgence.