Enseignement supérieur et emploi : concilier efficacité et principe d’égalité
Si nul ne peut contester que l’objectif d’employabilité constitue aujourd’hui une priorité stratégique de l’enseignement supérieur, la massification des études soulève un triple enjeu de fonctionnement, d’équité et d’efficacité du système.
Brique historique de sédimentation de la nation française et de l’affirmation de ses valeurs, l’Université est régulièrement critiquée pour ses rigidités de gouvernance et de gestion, tout comme la médiocrité de ses scores dans les classements internationaux. Souvent, elle inspire encore une lecture exceptionnaliste : les universités ne seraient pas des organisations « comme les autres ». Elles seraient « coupées » du monde réel, inaptes à répondre aux contraintes et aux évolutions des organisations économiques, aux besoins des entreprises, au marché de l’emploi. Cette distorsion entre l’ordre académique et la réalité économique revient comme un serpent de mer dans le débat public, relayé jusque dans les plus hautes sphères politiques. Le 13 janvier 2022, en clôture du congrès de la Conférence des présidents d’université, le président de la République Emmanuel Macron en appelait encore à une plus franche affirmation de la fonction professionnalisante de l’université.
Un paysage marqué par la partition entre universités et grandes écoles
« Les critiques récurrentes sur les supposés retards de l’université dans le champ de la professionnalisation et son déphasage par rapport au monde de l’entreprise sont exagérées. Beaucoup de formations professionnalisantes et de cours pratiques sont aujourd’hui dispensés par tous les établissements », affirme Christine Musselin, sociologue, directrice de recherche CNRS, spécialiste de l’Université.
Si nul ne peut contester que l’objectif d’emploi constitue aujourd’hui une priorité stratégique de l’enseignement supérieur, la question de l’articulation entre études et emploi ne peut être dissociée de la structuration très particulière du système français de formation post-bac. Celui-ci s’est construit autour de la dualité entre universités et grandes écoles : les premières, présentes dans les grandes métropoles du territoire, dévolues à la promotion de tous les bacheliers, les secondes ayant vocation à être beaucoup plus élitaires. Tous les pays d’Europe connaissent une ligne de démarcation interne à leur offre, mais la partition entre filières d’élite et de masse est particulièrement marquée en France, où les grandes écoles projettent une ombre portée sur tout le système d’éducation supérieure.
Démocratisation et massification
En cinquante ans, l’Hexagone a comblé son retard dans la formation supérieure de sa population, avec 2,8 millions d’étudiants contre 310 000 en 1960 (lire p. 9). En 2020, 49 % des 25-34 ans étaient diplômés de l’enseignement supérieur en France. Une proportion légèrement supérieure à celle des autres pays européens (46 %) et similaire à celle des États-Unis (50 %). Mais la démocratisation et la massification de la formation post-bac soulèvent un triple enjeu de fonctionnement, d’équité et d’efficacité du système.
Entre académique
et économique,
le débat public est
toujours ouvert
Défi capacitaire tout d’abord. En cinq ans, le système a dû accueillir un surcroît d’effectifs équivalant à la population de dix campus de taille moyenne ! Et c’est à l’université d’absorber l’essentiel des effets de la massification de l’enseignement. Pour la seule année 2020, les universités (IUT non compris) ont dû intégrer 32 000 étudiants supplémentaires à moyens quasi constants. Or, avec une dépense pour l’enseignement supérieur atteignant 1,5 % de sa richesse, la France est loin de l’objectif de 2 % du PIB fixé par le Livre blanc de l’enseignement supérieur et de la recherche de 2017. Parmi les pays développés, elle est l’un de ceux qui dépensent le moins par étudiant.
À l’aporie budgétaire se greffe un défi égalitaire. Face au monde des études, les Français sont loin d’être égaux. L’inégalité d’accès et de réussite au sein de l’enseignement supérieur est aujourd’hui largement renseignée. La mission d’information de l’Assemblée nationale, dans son rapport sur l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur de juillet 2020, rappelle qu’un enfant d’ouvrier a sept fois moins de chances qu’un enfant de cadre supérieur ou d’enseignant d’accéder à l’enseignement supérieur. Une fois engagés dans le processus, 47 % des étudiants favorisés réussissent leurs études contre 32 % de ceux qui doivent couvrir leurs besoins par eux-mêmes.
Le diplôme, premier sésame pour l’emploi
Or, non seulement le diplôme reste « la » clé d’accès à l’emploi, mais sa valeur performative en termes d’employabilité, de qualité d’emploi et de rémunération augmente avec le niveau d’études. Sur ce terrain de l’emploi, les grandes écoles sortent largement gagnantes. En 2019, la part de leurs diplômés ayant trouvé leur premier emploi avant même leur sortie était à son niveau le plus haut de la décennie, avec 65,2 %, soit 3 points de plus qu’en 2018. Chez nos voisins, notamment anglais et allemands, c’est aux diplômés de l’université que sont promises les plus belles carrières.
On le sait, l’investissement dans l’enseignement supérieur est une condition sine qua non du développement social, culturel et économique de toute nation. Si elle veut porter très haut son enseignement supérieur, particulièrement au regard de ses objectifs d’emploi, la France doit interroger l’organisation de son système de formation. En veillant à ne pas opposer logique d’efficacité et principe républicain d’égalité.