Prix, stockage et montée en puissance rapide : les trois défis sur la route de l’hydrogène
Présentée comme un des leviers d’avenir pour accélérer la transition vers la neutralité carbone, cette solution doit vaincre de nombreux obstacles. L’Abécédaire en a retenu trois principaux : le prix, le stockage/transport et la montée en puissance.
Parvenir à produire un hydrogène compétitif, lever les enjeux de transport et de stockage, et réussir le passage à l’échelle : trois défis majeurs s’ouvrent pour l’avènement de l’hydrogène décarboné. Avec, sur la route de cette promesse de décarbonation pour les mobilités, des détracteurs farouches, comme Jean-Marc Jancovici. « Pour que l’hydrogène soit vert, il faut électrolyser de l’eau avec de l’électricité bas carbone, sachant que le solaire est déjà presque trop carboné à cause de la fabrication du panneau, explique-t-il dans une chronique parue dans L’Express, le 1er octobre 2020. Mais il y a un problème d’ordre de grandeur : en France, pour remplacer tous nos carburants par de l’hydrogène obtenu par électrolyse à partir d’électricité éolienne, il faudrait multiplier par 15 la puissance installée dans l’Hexagone, et doubler la production électrique totale. »
À l’autre bout du spectre, sur l’offre de transport elle-même, des experts, convaincus par le potentiel de l’hydrogène, encouragent à un renforcement de la disponibilité commerciale des véhicules. « Les bus, les engins de collecte, les bennes à ordures, les camions, les trains… n’ont à ce jour qu’un ou deux modèles à hydrogène disponibles », analyse Christelle Rouillé, directrice générale de Hynamics (EDF). Côté ravitaillement, « il faut mailler le territoire correctement, pour donner le choix à l’utilisateur. Pour l’instant, il n’y a que trop peu de stations : on pourrait donc parler de concurrence déloyale vis-à-vis de l’hydrogène », souligne Adamo Screnci, directeur général délégué de HRS.
1er défi • Des prix encore trop élevés par rapport aux autres énergies
Pour un usage compétitif par rapport aux autres solutions alternatives (l’électrique notamment), le coût de l’hydrogène décarboné « doit être divisé par trois par rapport au coût actuel », souligne Jean-Luc Brossard (Stellantis, cf. page 16). Les futures gigafactory d’électrolyseurs, fortement automatisées, vont permettre de réduire les coûts de fabrication. « Il y a trois ans, le coût par MW s’élevait à 2 M€. Il est aujourd’hui d’1 M€, et l’objectif est d’atteindre 400 K€ par MW », indique Christelle Rouillé. Le prix des véhicules doit aussi baisser drastiquement. Un véhicule utilitaire léger se vend « autour de 30 K€ pour un modèle à moteur thermique, 40 K€ en version électrique, et entre 80 et 100 K€ en version hydrogène », compare Jean-Luc Brossard.
2e défi • Un gaz difficile à transporter et à stocker
L’hydrogène, gaz léger, se faufile partout, ce qui pose des difficultés de stockage. Des solutions technologiques se mettent en place, comme le projet Hypster, en cours de développement à Étrez (Ain), un démonstrateur de stockage d’hydrogène vert en cavité saline. Un projet de 13 M€, qui inclut des installations tuyauterie, instrumentation, électricité, génie civil… Storengy, filiale d’Engie, partenaire du projet, dispose au total de 21 sites de stockage de gaz naturel totalisant une capacité de 136 TWh en France, en Allemagne et au Royaume-Uni.
Autre difficulté posée par l’hydrogène, le transport. Conséquence pour son utilisation dans les mobilités : « Une consommation qui doit se faire plutôt à proximité des lieux de production, ciblant les mobilités lourdes (camions, cars, bus) », pose Dominique Charzat (Enedis), président de l’Avere Occitanie. L’infrastructure de distribution sera d’après lui « coûteuse et longue à déployer ». Sans compter que l’hydrogène peut endommager certains matériaux, dont les métaux, comme l’indique Frédéric Christien, chercheur au laboratoire Georges Friedel (UMR CNRS / Mines Saint-Étienne), dans I’MTech*. Mais les start-up du secteur fourbissent leurs armes. Comme McPhy, spécialiste des équipements de production et distribution d’hydrogène bas carbone, qui a conclu fin 2021 un accord avec Hype (taxi urbain hydrogène), prévoyant notamment une cinquantaine de stations hydrogène grande capacité de 15 à 25 MW d’électrolyse à horizon 2025. L’isérois HRS (Hydrogen Refueling Solutions) a, pour sa part, déjà fabriqué 34 stations de ravitaillement en hydrogène, soit une capacité de 4 700 kg d’H2/jour installée.
* Actualité scientifique et technologique de l’IMT, octobre 2020
3e défi • Réussir le passage à l’échelle
Pour que l’hydrogène devienne compétitif sans subvention, « il faudra augmenter les volumes et baisser les prix », résume Bruno Jamet, directeur de programmes Énergie et Propulsion au pôle de compétitivité Véhicule du futur. Les technologies de motorisation électrique (dont l’hydrogène va faire partie) sont matures, et les perspectives de croissance considérables, avec un passage de 25 % d’électricité dans la consommation énergétique aujourd’hui, à 55 % en 2050 à l’échelle nationale. Un passage à l’échelle s’impose, « pour amorcer une industrialisation de l’hydrogène décarboné », insiste Jean-Luc Brossard. Aider les premiers pas de la mobilité hydrogène suppose, d’après lui, de déployer des aides venant de l’État et de l’Union européenne. En misant sur le long terme. « Regardez la motorisation électrique : on met encore en place des bonus, alors que ça a démarré il y a dix ans. » Pour gagner en volume, Bruno Jamet prône la généralisation de moteurs à combustion interne à hydrogène. Ces derniers s’imposent comme une alternative intéressante pour la mise en œuvre de transports décarbonés, notamment pour les très gros moteurs qui équipent les navires, poids lourds et bus. « Si on veut aller vite contre le réchauffement climatique, il ne faut pas être dogmatique. Ces moteurs émettent 1 000 fois moins que les moteurs thermiques d’il y a quelques années. Mieux vaut ne pas être parfait et avancer, plutôt que d’attendre la solution parfaite, qui ne verra le jour que dans 15 ou 20 ans. »