« L’hydrogène va d’abord concerner les usages professionnels et les mobilités lourdes »
En quoi l’hydrogène peut-il contribuer à décarboner les mobilités ?
Les véhicules électriques fonctionnent sur batterie (énergie stockée dans la batterie) ou à hydrogène (énergie stockée dans le réservoir). Dans ce deuxième cas, l’hydrogène gazeux se combine avec l’oxygène de l’air au sein d’une pile à combustible. Cette réaction électrochimique produit de l’électricité. Pour atteindre les objectifs de réduction de 55 % de CO2 et de dioxyde d’azote d’ici à 2030 pour les véhicules légers – sans oublier celui en cours de discussion de – 100 % à l’horizon 2035 –, il n’y a pas d’autre choix que de jouer la complémentarité entre les différentes solutions technologiques : batterie, pile à combustible, voire une combinaison des deux. Le véhicule hybride sorti récemment par Stellantis peut ainsi se recharger en électricité ou en hydrogène.
Quel est le bénéfice spécifique de la technologie de la pile à combustible ?
Elle permet de décarboner les bateaux, trains, bennes à ordures ménagères, bus, camions… Toutes ces applications pour lesquelles la batterie électrique n’est pas efficiente, car trop lourde, encombrante et limitée en termes d’autonomie. Par ailleurs, il ne faut que 5 min pour faire le plein d’hydrogène pour un véhicule léger, pour 600 km d’autonomie.
Quels sont les défis à relever pour accélérer dans cette phase de transition ?
Le passage à l’échelle au niveau des composants est l’un des enjeux clés pour rendre les véhicules hydrogène compétitifs sur le marché. Il n’y en a aujourd’hui que quelques centaines qui circulent en France ! Le coût à l’unité est dès lors élevé, comparé aux véhicules à batterie ou thermiques, qui circulent par milliers voire, pour les véhicules thermiques, par centaines de milliers et millions. On estime qu’à partir de 60 000 unités par an et par plateforme, un véhicule hydrogène pourrait avoir un prix aussi compétitif que son homologue à motorisation diesel. Nous devons aider les industriels à se préparer à une échelle plus importante, et continuer à travailler sur les technologies permettant de réduire les coûts.
Outre le prix des véhicules, il faut aussi que le prix de l’hydrogène lui-même, à la pompe, soit compétitif…
En effet. Aujourd’hui, l’hydrogène est à 12 euros le kilo : impossible, encore, de faire décoller le marché avec un tel coût. L’écart avec le diesel se resserre peu à peu, dans un contexte de renchérissement des énergies fossiles. France 2030 prévoit l’émergence de sites de production massifs d’hydrogène, avec des gigafactory d’électrolyseurs. Pour le transport de l’hydrogène des lieux de production vers les stations de distribution, nous avons la chance de disposer de réseaux de gaz qui peuvent être adaptés. Nous visons un prix de l’hydrogène à la pompe entre 7 et 9 euros le kilo en 2023 ou 2024.
Qui seront les premiers acteurs de la mobilité à utiliser l’hydrogène en masse : professionnels ou particuliers ?
Les usages professionnels et les mobilités lourdes vont être prépondérants dans un premier temps. Comme ils connaissent en amont leurs trajets et leurs besoins, les services d’avitaillement nécessaires auront une densité moindre que pour des particuliers, dont les déplacements sont par nature plus aléatoires et imprévisibles. La technologie existe, avec des premières flottes de démonstration de véhicules utilitaires légers (VUL). Renault et Stellantis commercialisent leurs premiers VUL (respectivement 9 m3 et 6 m3) à hydrogène à partir de cet été.
Chaque technologie
correspond à un usage,
il ne faut pas les opposer
Les constructeurs ont tous commencé avec des VUL à batteries électriques. Mais cela ne correspondait pas toujours aux attentes des clients, en cas de tournées plus longues que prévu, ou lorsqu’un professionnel devait rentrer chez lui le soir, sans possibilité de brancher le véhicule, par exemple. Symbole déjà visible de la mobilité hydrogène, les taxis Hype, à Paris, avec 200 véhicules roulant déjà à l’hydrogène, et 600 prévus en fin d’année. Avec sa récente levée de fonds de 20 M€ menée avec HRS et McPhy, le PDG de Hype, Mathieu Gardies, vise 10 000 taxis à hydrogène, ravitaillés par 20 stations dédiées en Île-de-France, d’ici à 2024.
Et sur les camions ?
En Suisse, 46 camions Hyundai Xcient Fuel Cell circulent à l’hydrogène pour un distributeur alimentaire. Sur la première année, ils ont dépassé 1 million de km parcourus, soit 631 tonnes de CO2 non émises. Les batteries ne seront pas applicables aux camions, car elles pèseraient 10 % de leurs poids, et le temps de chargement poserait problème. Pour des camions parcourant 160 000 km par an, la batterie ne peut pas être une solution.
On le voit : le marché de la mobilité hydrogène est gigantesque.
Les collectivités se positionnent-elles pour l’achat de bus à hydrogène ?
Le consortium France Hydrogène Mobilité a identifié des intentions de commandes pour 800 bus hydrogène, en agrégeant les demandes des collectivités. C’est le signe concret que la technologie commence à être industrialisée. Mais les perspectives sont à modérer pour les bus. Le passage à l’hydrogène dépend de la typologie de collectivité ou de la longueur des lignes. Le parc peut ainsi être hybride au sein d’un même territoire. Comme à Cologne (Allemagne), où la batterie électrique est utilisée pour les trajets urbains, plus courts, et l’hydrogène pour les liaisons périphériques, plus longues. Chaque technologie correspond à un usage. Il ne faut pas les opposer.
Quelles sont les solutions de stockage de l’hydrogène ?
Le stockage souterrain est de plus en plus étudié. Deux exemples illustrent cette tendance : un à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), avec Géosel, et un à Étrez, dans l’Ain, avec Storengy. Storengy dispose, en France, de 14 cavités souterraines, pour une capacité de stockage équivalent à un volume de 100 TWh.
Quelle est la feuille de route 2022 de France Hydrogène en matière de mobilité ?
Nous travaillons, avec la plateforme de la filière automobile (PFA), à la création d’un outil précis de modélisation, pour identifier le nombre de stations hydrogène nécessaires et leurs localisations, afin de répondre aux enjeux de mobilité.
Les aides financières diverses sont-elles suffisantes pour soutenir la filière ?
Je ne suis pas adepte des programmes de subventions à l’infini. À un moment donné, les véhicules doivent être compétitifs. Où met-on le curseur pour aider les industriels à passer à l’échelle ? Quels sont les mécanismes intelligents, pour créer de la valeur sur les territoires ? C’est le socle des Projets importants d’intérêt européen commun (Piiec), dont l’objectif est de rendre plus robuste la filière industrielle européenne, avec des investissements massifs dans des technologies de rupture. Mieux vaut flécher l’argent vers les industriels, qui apportent des créations d’emplois, de la valeur ajoutée et de la compétitivité, que vers la collectivité qui va acheter le bus. Le but n’est pas de diriger les aides pour l’achat de produits importés. Il faut définir des mécanismes de responsabilité partagée entre pouvoirs publics et industriels, donnant de la visibilité aux acteurs de la chaîne. Par exemple, si un constructeur de bus connaît en amont son volume de production, il pourra dimensionner son outil en conséquence, et l’État pourra calibrer son aide. Il est inutile de verser 30 % de subvention sur le surcoût d’un bus, si le constructeur ne produit que 20 unités.