L’avènement de l’hydrogène dans le mix énergétique pour décarboner les mobilités
Avec l’urgence climatique et les conséquences de la guerre en Ukraine sur l’indépendance énergétique, l’hydrogène revient sur le devant de la scène, et plus particulièrement dans l’agenda de la mobilité lourde ou des véhicules à usages intensifs.
Comme un symbole. L’ex-ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, vient de rejoindre le conseil d’administration de la start-up Hopium, constructeur de véhicules à hydrogène. Actuellement utilisé en raison de ses propriétés chimiques dans les industries pétrolière et chimique (raffinage, désulfuration du pétrole et production d’ammoniac), l’hydrogène (H2), ce gaz très léger, produit par reformage du gaz naturel, par gazéification du charbon de bois ou à partir d’électricité (par électrolyse de l’eau), peut aussi être utilisé pour la production d’énergie sur le réseau, ou dans les transports.
Son intérêt énergétique (faiblement émetteur de gaz à effet de serre), encore peu développé, devrait contribuer à atteindre les objectifs que la France s’est fixée à horizon 2030 dans la lutte contre le réchauffement climatique : un taux de 32 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie et une réduction de 30 % des énergies fossiles.
L’hydrogène se prête
aux mobilités lourdes
et aux usages intensifs
en boucle fermée
Ensuite, à l’échelle européenne, la guerre en Ukraine accélère le besoin de réduire la dépendance aux hydrocarbures russes. Le plan européen REPowerEU, présenté le 18 mai par la Commission européenne, place ainsi les transports comme l’un des premiers postes d’usage de l’hydrogène renouvelable à horizon 2030, derrière la production de chaleur industrielle et l’industrie chimique. De lourds investissements sont prévus dans les infrastructures : entre 28 et 38 Md€ dans les canalisations de transport d’hydrogène, et entre 6 et 11 Md€ pour le stockage d’hydrogène. Le secteur est encore naissant et la marge de progression colossale : pour l’instant, l’hydrogène ne pèse que 1,2 % dans la consommation mondiale d’énergie, selon l’Agence internationale de l’énergie.
Hydrogène renouvelable, fossile et bas carbone : de quoi parle-t-on ?
L’hydrogène renouvelable (ou « vert »), encore très minoritaire (1 % de l’hydrogène produit en France) est fabriqué par électrolyse de l’eau, à partir d’électricité provenant uniquement d’énergie renouvelable. L’hydrogène fossile (ou « gris ») est fabriqué par procédés thermochimiques avec comme matières premières des sources fossiles (charbon ou gaz naturel). Enfin, l’hydrogène bas carbone (ou « bleu ») est réalisé par électrolyse avec une électricité essentiellement nucléaire. Pour l’instant, 95 % de l’hydrogène est produit à partir d’hydrocarbures, l’objectif étant d’inverser la tendance, pour booster les hydrogènes renouvelables et bas carbone. Un choix écologique, mais aussi économique. Selon le bureau d’études norvégien Rystad Energy, la guerre en Ukraine a rendu l’hydrogène vert encore plus compétitif (moins de 4 dollars le kilo) par rapport à ses équivalents bleu et gris qui ont pris 70 % en l’espace de quelques jours avec l’envolée des cours du gaz naturel et du pétrole (respectivement 14 dollars et 12 dollars le kilo).
Les mobilités lourdes ciblées dans un premier temps
La solution hydrogène appliquée à la mobilité utilise la combustion directe ou la pile à combustible. Avantages : rapidité des pleins, rendement énergétique, autonomie accrue, réduction des émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, les voitures alimentées en hydrogène ont au mieux un impact carbone 74 % moindre que les véhicules thermiques traditionnels, selon l’institut Carnot ARTS. Mais des défis restent à relever pour dompter ce gaz très léger : compétitivité prix par rapport aux autres énergies, disponibilité effective des modèles et des stations d’avitaillement, transport et stockage, passage à l’échelle. Toutes les mobilités ne vont pas se mettre à l’hydrogène en même temps. Les constructeurs automobiles entendent d’abord rentabiliser les investissements réalisés pour lancer les modèles électriques à batteries. À l’exception notable de Toyota et Hyundai, les seuls à produire des véhicules de série à piles à combustible, rappellent plusieurs sources à L’Abécédaire des Institutions. « Les voitures particulières à hydrogène ne devraient se généraliser qu’entre 2025 et 2030. L’hydrogène revient en revanche dans l’agenda de la mobilité lourde, ou des véhicules à usages intensifs », souligne le consultant Bertrand Chauvet (Seiya Consulting). Sont concernés les bus urbains selon certains critères, notamment de distance et de dénivelé, les camions (la Commission européenne vise à mettre en circulation 60 000 camions à hydrogène d’ici à 2030), les taxis (Hype, à Paris), les véhicules utilitaires (Stellantis et Hyvia lancent leurs modèles), les trains (Alstom ayant ouvert le bal en Allemagne), le transport maritime et fluvial (comme le projet Hybarge, d’une capacité équivalente à celle de 12 poids-lourds, ou le remorqueur Hydrotug sur le port d’Anvers-Bruges), et, à plus long terme, au mieux 2035, les avions.
Complémentarité avec les batteries électriques
Hydrogène ou batterie électrique ? « Les technologies constituent deux offres de mobilité durable complémentaires. Cette question dépend avant tout de l’usage et du type de véhicule, rappelle Renault Group. L’hydrogène se prête aux usages intensifs en boucle fermée, avec un lieu de recharge bien identifié et facilement accessible au cours d’une tournée, ou au sein même des locaux de l’entreprise. »
Nouvel atout du mix énergétique, le mouvement hydrogène s’accélère depuis deux ans. « L’Allemagne a lancé son Plan Hydrogène en juin 2020. Depuis, une trentaine de pays, dont la France, ont adopté le leur. L’augmentation des prix du gaz et du pétrole souligne la nécessité de développer la filière hydrogène », conclut Adamo Screnci, DG de HRS.