QUESTIONS À… André-Paul Comor, historien, maître de conférences honoraire à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, auteur du Dictionnaire de la Légion étrangère (Editions Robert Laffont)
Comment fait-on pour que des hommes si différents partagent les mêmes valeurs ?
D’abord une chose très simple : le respect. C’est un contrat, un engagement moral entre les jeunes recrues et leurs officiers. Les supérieurs s’engagent à respecter les jeunes recrues et les légionnaires leur en savent gré, ils acceptent la rigueur et la loi commune, à la condition d’être respectés. Cela fonctionne dans les deux sens.
Vraiment ?
L’autre jour, j’étais à une cérémonie de remise de certificat de naturalisation à des légionnaires parmi lesquels deux Russes, un Ukrainien, un Ivoirien, un Malgache, un Allemand, un Péruvien… une tour de Babel ! Ensuite, lors du repas de corps, le général leur a demandé s’ils avaient des griefs contre la hiérarchie. Et avec leur fort accent d’Europe de l’Est, certains ont dit tout ce qu’ils pensaient, puis le général a répondu. En fait, on réglait les comptes en famille. C’est une manière très moderne de concevoir la hiérarchie.
On dit que la Légion est une deuxième famille…
Un maréchal d’Empire écrivait : « On est soldat quand on n’a plus la maladie du pays, quand le drapeau du régiment est considéré comme le clocher du village ». Pour le légionnaire, le drapeau est effectivement son nouveau village, sa famille. Les légionnaires sont des frères d’armes, ce qui n’exclut pas les tensions entre les différentes nationalités, mais on se retrouve finalement toujours autour des mêmes valeurs.
La Légion, modèle d’intégration et de « vivre ensemble » ?
Bien sûr, et elle le doit à ses officiers qui ont également le souci de l’avenir de leurs hommes. Vous n’aurez jamais un légionnaire sdf. Si l’un d’entre eux se retrouve à la rue, pour une raison x ou y, même bien après son engagement, la porte de la famille lui sera toujours ouverte, il aura toujours un toit et quelque chose à manger. Ce serait inconcevable autrement.
Et puis il y a l’apprentissage d’une même langue…
C’est le ciment ! Quand vous signez à la Légion, tout légionnaire francophone doit former un binôme avec un de ses camarades non francophone le temps de l’instruction. Simplement parce que l’initiation à la langue française doit se faire par le commandement, mais aussi par le frère d’arme. C’est un formidable moyen, non pas d’assimilation, mais d’intégration. En quelques semaines, on partage un socle. C’est une notion assez moderne. Dans le civil, on parlerait de mentorat ou de tutorat…