Vivre ensemble, c’est d’abord habiter ensemble
Que l’on vive dans un immeuble collectif ou une maison individuelle, dans une cité ou très isolé, le « vivre ensemble » ne sera pas le même. Or, il a toujours été au cœur des projets architecturaux et des plans d’urbanisme.
Le philosophe français Charles Fourier est vraisemblablement le premier à avoir théorisé ce que pouvait être le « vivre ensemble » dans nos sociétés contemporaines, et sa quête de l’harmonie universelle, au cœur de sa pensée, l’a toujours conduit à proposer des innovations pour un « mieux vivre » entre citoyens. On lui doit par exemple l’idée de « crèches » pour enfants, au début du XIXème siècle, mais surtout les phalanstères, ces habitats coopératifs et partagés qui permettaient à une communauté non seulement de vivre sous un même toit, mais aussi de s’associer autour de mêmes valeurs et principes. Le premier établissement de la sorte, le familistère de Guise (Aisne) aura vu le jour en 1858 grâce à Jean-Baptiste Godin, l’inventeur des célèbres poêles, qui souhaitait y héberger ses ouvriers. On y trouvait les logements de chacun, mais également une école, un théâtre, une lingerie, une pouponnière, une piscine et un économat, le tout fonctionnant dans un principe coopératif. Une micro-société où chacun partageait la « loi commune » acceptée à l’entrée dans ce familistère. L’habitat trahit souvent la volonté ou non de « vivre ensemble », selon les époques, les classes sociales ou les idéaux. Il n’est jamais neutre et favorise, ou non, le partage et l’échange. Des phalanstères de Fourier aux communautés hippies de Haight-Ashbury et ses maisons multicolores sur les hauteurs de San Francisco, en passant par les Kibboutz israéliens ou les habitats coopératifs néerlandais, vivre ensemble, au sens propre, c’est d’abord habiter ensemble.
C’était le projet de la Cité radieuse à Marseille par exemple, fruit de la réflexion architecturale et sociologique du Corbusier après la seconde guerre mondiale. L’immeuble moderne qui sort de terre, d’apparence banale, est en fait conçu pour que ses habitants y vivent dans une micro-société dont on partage les codes. Au premier étage, le long d’un immense couloir, on trouve un restaurant, une boulangerie, une crèche, une librairie… ce que Le Corbusier appellera « le village vertical ». Un lieu conçu pour l’échange. L’exact opposé des immeubles construits une vingtaine d’années plus tard, que l’on qualifiera souvent de « cages à lapins » ou des villes nouvelles comme Evry, Cergy-Pontoise, Marne-la-Vallée, qui devinrent finalement assez vite des banlieues dortoirs, sans âme et sans échanges entre concitoyens. On devait y partager des valeurs communes, on y partagea plutôt un même refrain : « métro, boulot, dodo ». D’aucuns s’accordent à dire que la périurbanisation a d’ailleurs provoqué un éclatement du « vivre ensemble », chacun se repliant sur soi. Le « désir de campagne » et « l’automobile pour tous » auront permis aux maisons individuelles de pousser comme des champignons, tuant dans l’œuf l’échange et la rencontre. Causant aussi la fermeture de nombreux commerces de centre-ville à partir des années 80. Phénomène contrebalancé aujourd’hui par des voix qui militent pour une « re-densification » des centres urbains, et même la construction de tours permettant davantage de « vivre ensemble » … et permettant de lutter plus efficacement contre le réchauffement climatique fortement impacté par les déplacements quotidiens de l’habitat péri-urbain.