« Vivre ensemble, et non côte à côte »
S’entendre sur des valeurs communes, retrouver ce qui fait République… ce sont des défis quotidiens, à l’heure où les communautarismes se multiplient et où l’on constate une « archipélisation » de la société française. Réaffirmer un « vivre ensemble » devenu trop souvent un « vivre côte à côte ».
On associe trop souvent – et faussement – la notion de « vivre ensemble » à la seule scène politique et plus particulièrement au slogan de campagne de la candidate de gauche Françoise Gaspard opposée au Front National lors de l’élection municipale de Dreux en 1983. Pour la première fois, le parti de Jean-Marie Le Pen y avait fait une percée spectaculaire. Mais Roland Barthes avait déjà utilisé cette expression dans sa chaire inaugurale au Collège de France en 1976, regroupant plusieurs auteurs parmi lesquels André Gide ou Thomas Mann sous le titre « Comment vivre ensemble ».
Aujourd’hui, le « vivre ensemble » est un enjeu de taille dont on voit que les problématiques irriguent de nombreux champs sociétaux. A l’école ou dans la sphère intime, religieuse notamment, mais qui tend à s’étendre sur le domaine public, dans le rapport que chacun peut avoir à la République, la laïcité, la « loi commune » et les « valeurs partagées », dans le logement, l’urbanisme, le civisme… Tout le monde, élus, parlementaires, associations, enseignants, religieux, jeunes et moins jeunes…est confronté à cette exigence malmenée de « vivre ensemble » et, au fond, faire société.
Des communautarismes
se juxtaposent dans une France
qui se fragmente.
Or, ce défi semble n’avoir jamais été aussi difficile à relever. Les nouvelles technologies nous confortent dans nos bulles cognitives, grâce à des algorithmes qui nous poussent à ne plus jamais rencontrer l’autre, celui qui est différent. C’est particulièrement le cas sur les réseaux sociaux, ces « être ensemble » virtuels qui nous coupent de nos voisins, mais nous proposent des amis à l’autre bout du monde. Chaque polémique sur Twitter ou Facebook est prétexte à s’invectiver et s’isoler davantage, la tolérance et la fraternité n’y ont plus guère leur place, ici le vivre ensemble n’est plus qu’une belle utopie qui s’efface. Même les grandes tendances du marketing semblent vouloir nous catégoriser, dans une tranche d’âge ou une sexualité, une catégorie socio-professionnelle ou des aspirations culturelles, des convictions politiques ou des origines géographiques. Il devient presque impossible de dialoguer avec d’autres communautés, de partager des valeurs et de s’accorder sur une « loi commune ».
Les mois passés ont accentué ce sentiment que la France était désormais composée d’une multitude d’îles sur lesquelles chacun aurait trouvé refuge. Parfois même des îlots si minuscules qu’ils préservent un « entre-soi » interdisant de faire République. Des communautarismes se juxtaposent, dans une France qui se fragmente. Les manifestations – des gilets jaunes aux anti-vax – témoignent d’une réelle incompréhension entre les Français, comme s’il n’y avait plus rien qui fasse cause commune. On a même vu des échauffourées entre pompiers et policiers. Ainsi, le « vivre ensemble » ne serait-il plus qu’un concept, séduisant et humaniste, mais qui se heurte sans cesse à la réalité du quotidien ? Le syndrome de l’assemblée de copropriétaires, explique le politologue Jérôme Fourquet (lire page 11) : on partage des espaces communs… mais on reste enfermé chez soi, on n’ouvre qu’assez rarement notre appartement au voisin de palier. C’est ce que souligne également Morgan Poulizac, urbaniste et enseignant à Sciences Po pour qui le « vivre ensemble » est un concept à géométrie variable : « ce vivre ensemble est d’abord une volonté de vivre entre soi ».
Dans ce contexte, soutenir les principes fondamentaux de la République universelle est fondamental. La liberté, l’égalité, la fraternité, auxquelles on peut ajouter le respect, la citoyenneté, l’éducation… L’instruction publique est un enjeu de taille, nous dit le président de l’Association des maires de France, David Lisnard (lire page 12) : « Savoir lire, écrire et parler correctement le français, apprendre notre géographie et notre histoire : voilà qui doit permettre de refaire de l’école la pierre angulaire de l’adhésion démocratique et républicaine ». Pour réaffirmer un « vivre ensemble » face au « vivre côte à côte » du moment, voire la menace d’un « vivre dos à dos ».