(Ré)inventer un nouveau vivre ensemble
Loin des grands discours et débats nationaux, les élus sont les premiers à constater les dérives communautaristes. Ce sont eux et les associations qui travaillent à retrouver le goût du « vivre ensemble ». La tâche est loin d’être aisée.
En plein cœur de Sarcelles (Val d’Oise), à l’angle de l’avenue Auguste Perret et du boulevard Maurice Ravel, mais surtout entre l’église Jean XXIII, l’église évangélique, la mosquée Foi et Unicité et le Secours catholique, l’artiste Combo a réalisé une fresque gigantesque qui occupe tout le pignon d’un immeuble dans lequel vivent de multiples communautés. On y voit trois enfants en short, ballon de football au pied, maillot bleu pour l’un, blanc pour l’autre, rouge pour le troisième… des gamins ordinaires de la cité, ensemble et souriants. Et puis il y a cette phrase : « Quand j’étais petit, il y avait des musulmans, des juifs, des chrétiens, des noirs, des blancs… c’était juste des copains ».
Sarcelles, 66 000 habitants, longtemps qualifiée de ville du « vivre ensemble », a toujours été saluée pour l’harmonie qui régnait entre ses communautés. En 1962, les pieds-noirs fraichement débarqués, ainsi que les juifs séfarades, se mêlaient aux premiers banlieusards attirés par cette ville nouvelle, sans que cela ne contrarie la notion de « vivre ensemble ». Certes, on surnommait les quartiers en fonction de leurs habitants, « la petite Jérusalem » par exemple… mais les Sarcellois se retrouvaient dans leurs activités quotidiennes, le marché, les écoles, les loisirs… Ils étaient des gens « venus de partout et qui ont constitué une identité à partir d’un destin commun », affirmait Marie-Hélène Pinel, co-auteure du livre « La première ville nouvelle », invitée de l’émission Apostrophes en 1974. Ce qu’appuie aujourd’hui François Pupponi, maire de Sarcelles pendant 20 ans et désormais député (lire page 29) : « Le jour où la communauté juive s’est refermée sur son propre quartier et a ouvert ses propres écoles pour des raisons de sécurité. Le jour où l’islam radical est arrivé. Le jour où les classes moyennes ont quitté les quartiers populaires, chacun est resté chez soi (…) Les choses se sont fracturées ».
Seul le « ressenti » permet
aux élus de conduire une politique
pour un meilleur vivre ensemble.
Sarcelles, laboratoire exemplaire du « vivre ensemble » et de l’assimilation serait-elle devenue la ville du « vivre côte à côte », ou même du « vivre face à face » ? Possible, mais elle n’est pas la seule. Les notions de brassage multiculturel, de tolérance, de citoyenneté universelle, de laïcité, de valeurs partagées, de loi commune sont sans cesse remises en cause, et à l’échelle locale, les élus de plus en plus confrontés à des faits qui relèvent davantage de l’affrontement que du vivre ensemble. Alors que faire ? D’autant que les outils manquent, à la fois pour « objectiver » le phénomène, mais également parce que les textes de loi ne sont pas toujours adaptés aux nouvelles situations que l’on constate sur le terrain.
D’abord les outils. Il n’existe à peu près aucune statistique qui caractériserait la notion – ou non – de vivre ensemble. Les études sont elliptiques, et dans une décision du 15 novembre 2007, le Conseil constitutionnel rappelle qu’il est impossible de questionner un individu sur ses origines raciales, ethniques ou ses convictions religieuses.
Il existe en effet une interdiction de principe, inscrite dans la loi « Informatique et libertés » de janvier 1978, qui explicite clairement l’impossibilité « de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci ». A l’échelle d’une commune ou d’une agglomération, seul « le ressenti » permet aux élus de conduire une politique permettant un meilleur « vivre ensemble », ce qui n’est pas toujours très aisé.
Par ailleurs, certaines lois ne sont plus adaptées à l’évolution des radicalismes, et contrarient parfois les élus dans leur souhait de tout mettre en œuvre pour (re)vivre ensemble. On voit ainsi des initiatives locales ou des arrêtés municipaux régulièrement retoqués par les tribunaux. Ce que regrette le président de l’Association des maires de France, David Lisnard, qui revendique également la possibilité, comme au Danemark par exemple, de « pouvoir, pour un élu, avoir la main sur la politique de peuplement de sa commune ». En effet, qui, mieux qu’un élu, connaît sa commune, ses concitoyens et la manière dont ils vivent – ou non – ensemble ?
Car c’est bien à l’échelle de la commune, du quartier ou des associations que se joue l’essentiel de ce « vivre ensemble ». C’est sur ce terrain que se créent le lien, la rencontre et le dialogue. Que l’on favorise l’échange, grâce à des initiatives si petites soient-elles, mais qui renouent avec l’évidence. La philosophe Cynthia Fleury propose ainsi de retrouver le goût du vivre ensemble « en dehors des réseaux sociaux, avec des forums, des assemblées participatives et des conventions citoyennes ». Des initiatives régulières, loin des grands discours et des grands débats, avec les élus, les habitants, les bénévoles, qui (ré)inventent localement un nouveau et si précieux « vivre ensemble ».