« Il est temps de recoudre le tissu national »
Est-ce une vision pessimiste de dire qu’il devient de plus en plus difficile de « vivre ensemble » ?
« Vivre ensemble » est une chose, mais cela ne suffit pas, il faut partager des valeurs, des conceptions et un mode de vie communs. C’est pourquoi je préfère parler de « vivre ensemble en République française ». Un exemple, même s’il ne faut évidemment pas généraliser : je pense qu’il existe des quartiers où la cohabitation est difficile entre des Français, ou des étrangers installés depuis longtemps, parfaitement intégrés et assimilés, et des primo-arrivants qui se constituent en communautés, tout cela sur fond de pauvreté, parfois de délinquance et de trafics. L’immigration massive ne favorise d’ailleurs pas ce « vivre ensemble ». Quand les arrivants sont nombreux, ils se regroupent par nationalités ou affinités culturelles. C’est humain. Mais c’est là qu’un phénomène de ghettoïsation peut survenir. On passe alors d’une sorte de coexistence pacifique à une volonté séparatiste affirmée. Cette réalité existe. L’ignorer, c’est ne rien régler des problèmes que vivent beaucoup d’entre nous, et alimenter la radicalisation d’une partie de l’opinion de plus en plus importante qui ne comprend pas que les responsables politiques ferment les yeux sur ces questions. Il existe aussi une autre facette de cette atteinte au « vivre ensemble » qui provient de fractures territoriales et sociales. On l’a tout particulièrement bien vu au moment de la crise des « gilets jaunes ». Les travaux et les essais de Christophe Guilluy au sujet de la France périphérique et ceux de Jérôme Fourquet sur l’archipélisation du pays l’ont révélé. Il est temps de recoudre le tissu national.
Est-ce qu’il existe encore une « loi commune », qui ne fait pas débat en termes de valeurs partagées?
La loi commune, ce sont d’abord les lois de la République. Il ne peut y avoir de socle commun que si chacun est convaincu qu’aucune loi divine n’est supérieure à ces lois. Les individus ne peuvent pas non plus s’arranger avec des valeurs qui ne souffrent aucune discussion, comme l’égalité entre les hommes et les femmes, le respect des minorités et des orientations sexuelles, la laïcité…
Si nous en sommes arrivés à devoir nous interroger sur ce « socle intangible », c’est parce que nous avons abandonné le modèle assimilationniste qui a permis de forger une identité culturelle commune aux Français, de toutes origines. Nous devons réaffirmer une spiritualité française, liée à un héritage de plusieurs siècles de civilisation ayant conduit aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, et à un mode de vie non seulement respectueux de ces valeurs, mais fait de coutumes et usages communs. Nous devons pour cela assumer cet héritage.
Pourquoi aviez-vous pris un arrêté « anti-burkini » en 2016 ? Pour promouvoir le « vivre ensemble républicain » ?
Il s’agissait avant tout d’apporter une réponse concrète et immédiate à un risque de troubles à l’ordre public car nous étions quelques semaines à peine après l’attentat islamiste qui a tué 86 personnes et blessé 458 autres sur la Promenade des Anglais à Nice. Je rappelle aussi que le mot « burkini » n’est jamais employé dans cet arrêté qui portait sur les vêtements de bain intégraux et ostentatoires.
Vivre ensemble
en France, c’est d’abord
vivre à la française.
Ces tenues représentent un marqueur idéologique indéniable de la radicalisation islamiste. J’ai souhaité interdire ces tenues de même que je me suis opposé aux revendications de certaines organisations qui voulaient obtenir des horaires séparés pour les hommes et les femmes dans les piscines municipales ou le report des kermesses scolaires quand elles coïncidaient avec le Ramadan. Si les grands discours peuvent être importants pour fixer un cadre et envoyer un signal, ce sont les actions que l’on mène au quotidien qui sont cruciales. Il ne faut surtout pas donner le sentiment à certains que des « accommodements raisonnables » seraient possibles avec l’islamisme. Bien au contraire, il faut combattre ce que j’appelle un « islamisme à bas bruit » et ne rien céder à ceux qui voudraient enfermer une partie de cette jeunesse dans un déterminisme religieux qui l’empêcherait d’épouser notre art de vivre. Le « vivre ensemble » en France, c’est d’abord vivre à la française.
Quels sont les leviers pour « refonder le vivre ensemble » ?
L’instruction publique est majeure, c’est en offrant à nos enfants une instruction qualitative dans des établissements où l’autorité des enseignants sera rétablie que nous donnerons à chacun la possibilité de disposer de son avenir. Savoir lire, écrire et parler correctement le français, apprendre notre géographie et notre histoire… C’est pourquoi, à Cannes, nous proposons par exemple des cours de latin et de grec sur le temps périscolaire. Tout cela participe de cette volonté de donner à chaque enfant, d’où qu’il vienne, la possibilité de s’inscrire dans notre communauté de destin et d’être, demain, le continuateur de notre civilisation. Et nous valorisons la culture, qui est un rempart contre les dérives de l’individualisme, du communautarisme, du relativisme et du nihilisme qui en résulte.
Comment un élu peut-il « contraindre » à faire vivre ensemble des citoyens qui s’ignorent, voire qui rejettent l’autre ?
Il ne s’agit pas de forcer les uns et les autres à vivre ensemble. Il est du ressort de l’État de s’occuper de ceux qui refusent catégoriquement de respecter nos valeurs républicaines. Pour le reste, nous devrions pouvoir agir d’abord sur le logement en mettant fin aux ghettos qui favorisent le communautarisme et la délinquance. Le Danemark a mis en œuvre une politique qui vise à empêcher « l’émergence de sociétés religieuses et culturelles parallèles » en réduisant la part d’immigrés non européens dans certains quartiers. Inspirons-nous d’un tel exemple en permettant aux maires d’avoir la main sur la politique de peuplement de leur commune. Par ailleurs, les subventions aux associations doivent être adossées à une charte qui permet de veiller au respect de la laïcité et des règles de vie communes au risque qu’elles soient supprimées et les associations dissoutes. Bien vivre ensemble, c’est aussi porter une attention particulière à l’espace public, à la lutte contre l’incivisme, aux activités culturelles, de loisirs ou sportives qui créent du lien, qui permettent de se sentir appartenir à une même commune, à une même communauté, à la République, à la France.