La France est-elle un terreau propice aux licornes vertes ?
Le gouvernement, qui y voit l’un des piliers de la réindustrialisation, veut favoriser l’émergence de champions français de la greentech, encore peu nombreux.
C’est dans la foulée du Grenelle de l’Environnement de 2007 que les greentech font leur apparition en France en tant qu’écosystème à part entière. En décembre 2008, un rapport du Boston Consulting Group évalue à 60 milliards d’euros et 400 000 emplois le marché des éco-industries et chiffre à 50 milliards et 280 000 emplois supplémentaires le potentiel à l’horizon 2020. Cette étude sert de base au plan Ecotech 2012 du gouvernement, qui vise à mettre en œuvre la politique industrielle indispensable à ce développement. Un comité stratégique des éco-entreprises (COSEI) est lancé sous l’égide des ministères de l’Industrie et de l’Écologie. Cet engouement se traduit par la création de rubriques spécialisées dans la presse économique hexagonale : une page quotidienne dédiée au Green business dans La Tribune, une rubrique Croissance verte dans Les Échos. Mais la vague verte résiste mal à la crise financière de 2008. Le secteur des énergies renouvelables, en particulier, subit d’importants revers, dont un moratoire sur les projets solaires qui laissera des traces durables. Issue de la fusion de CDC Entreprises, d’Oseo et du Fonds stratégique d’investissements (FSI), la banque publique d’investissement Bpifrance est créée par une loi du 31 décembre 2012. Sa mission : faciliter l’accès au financement des petites entreprises, avec un accent fort mis sur l’innovation et la transition énergétique et écologique.
BlaBlaCar, première licorne française
Les planètes sont alignées pour que la French Tech voie le jour quelques mois plus tard. Objectif : positionner la France sur la carte du monde des principales nations numériques en favorisant l’émergence de champions de niveau mondial, capables de passer, en quelques années, de quelques salariés à plusieurs milliers, voire à des dizaines de milliers d’emplois.
Comme l’ensemble des start-up françaises, les greentech bénéficient de cette dynamique. Avec une levée de fonds de 200 millions de dollars en 2015, la jeune pousse du covoiturage BlaBlaCar, née en 2006, devient la première « licorne » française. Autrement dit, une start-up valorisée à plus d’un milliard de dollars.
Seulement
3 des 25 licornes françaises
sont des greentech.
En 2021, avec 11,57 milliards d’euros (+ 115%) et 12 nouvelles licornes, les levées de fonds des jeunes pousses françaises ont battu tous leurs records, même si elles restent (largement) devancées par les britanniques, mais aussi par les allemandes.
Les greentech y représentent 2,3 milliards, soit près du double des montants levés en 2020, déjà l’un des meilleurs crus pour le secteur. Les start-up de l’économie circulaire s’y taillent la part du lion, devant les énergies renouvelables et la mobilité, et l’hydrogène fait son entrée. Côté recherche, l’Office européen des brevets et de l’Agence internationale de l’énergie classent le CEA et l’Ifpen dans le quatuor mondial en nombre de brevets déposés relatifs aux technologies bas carbone.
Mais si, en 2022, la France a déjà atteint l’objectif de 25 licornes visé par Emmanuel Macron à l’horizon 2025, seules trois d’entre elles peuvent être qualifiées de greentech. Blablacar a été rejoint par deux entreprises affiliées à l’économie circulaire : Back Market, champion de la téléphonie reconditionnée, et Vestiaire Collective, site de dépôt-vente en ligne spécialisé dans la mode et le luxe.
La moitié des investissements de France 2030 pour la transition écologique
Toutes trois reposent sur des plateformes en ligne. Mais nombre de greentech (dans l’énergie, la chimie verte, les nouveaux matériaux…) ont des modèles plus industriels, donc plus capitalistiques, plus longs à développer et plus difficiles à financer. Autres griefs formulés par certains entrepreneurs, qui se vérifient pour l’ensemble des start-up : les banques traditionnelles européennes seraient peu à l’aise avec la tech, et les investisseurs trop averses au risque. Enfin, à la différence de la Chine ou des États-Unis, l’Europe ne pratique pas de « préférence nationale » ni d’accès privilégié à la commande publique pour ses pépites. Lesquelles préfèrent souvent s’expatrier. Non seulement pour accéder à des marchés plus larges et moins fractionnés que l’Europe, véritable mosaïque linguistique, juridique, fiscale, réglementaire… mais aussi parce que les introductions en Bourse, comme les rachats par de grands groupes, y restent plus difficiles. Sans compter la difficulté d’attirer et de retenir les talents sur un marché mondialisé. Voire, malgré la qualité reconnue des formations supérieures françaises, le manque de certains profils high-tech.
Pourtant, le gouvernement mise gros sur le secteur. En présentant son plan d’investissement France 2030 en octobre 2021, Emmanuel Macron promet de soutenir massivement la recherche et l’innovation pour s’imposer sur la scène économique mondiale et décarboner l’industrie française grâce à la technologie. Pour se donner les moyens d’élaborer cette réponse commune aux enjeux de souveraineté et de résilience et à la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique, la moitié des 30 milliards d’euros du plan concerne la transition écologique. Et quelques jours plus tard, lors du Meet Up Greentech rassemblant les mondes de l’industrie, de la recherche et la French Tech, la greentech est purement et simplement présentée comme le fer de lance de la réindustrialisation française.