Vers une logique d’urbanisme de projets
Si le temps long demeure indispensable à la construction urbaine, la planification traditionnelle doit désormais composer avec l’incertain.
Au sein de toutes les grandes métropoles cohabitent des traces historiques de grandes planifications antérieures, qui portent elles-mêmes les marques de rapports au futur différents. Grandes artères, quartiers d’affaires, zones d’activités économiques, parcs et jardins… Toutes ces briques urbaines servent une vision idéale, a minima projetée, de la ville vers un futur urbain monolithique et consensuel. Depuis quelques années pourtant, une nouvelle dynamique s’est invitée dans la pensée et les pratiques de l’aménagement des cités et des territoires, qui pourrait colorer de manière significative la forme et le fonctionnement des espaces demain. Un urbanisme dit « de projets », plus agile, plus pluriel, plus itératif, intégrant en amont l’incertain pour pouvoir composer sans ruptures majeures avec les grandes mutations (économiques, sociales, sociétales) du futur.
L’exemple du projet du Grand Paris
Les stratèges territoriaux sont de plus en plus nombreux à en appeler à une évolution de la planification territoriale (schémas de cohérence territoriale, plan local d’urbanisme intercommunal, etc.) et de sa temporalité (environ 30 ans pour les SCoT) vers des modèles plus dynamiques.
Partir de 2050 pour revenir
à aujourd’hui et aux dynamiques
en place.
Le projet du Grand Paris illustre déjà à cet égard l’hybridation de deux cultures de l’aménagement, l’une portant des objectifs stratégiques à long terme, l’autre plus propice à la négociation locale en vue de décisions tactiques à court terme, notamment dans le cadre des contrats de développement territorial (CDT). En matière d’urbanisme, la projection collective, la capacité à inscrire la décision dans un temps long, demeurent indispensables. Discipline constitutivement tournée vers la prévision, l’organisation et l’aménagement, l’urbanisme doit composer avec une dimension désormais incontournable : l’imprévisibilité. Dès lors, la science prospective pourrait trouver un terrain privilégié d’expression.
Construire une image formalisée de la ville en 2050 ne suffit pas
Il y a entre prospective et stratégie une différence essentielle : le temps. Si la stratégie peut prendre en compte la notion d’avenir, c’est de manière implicite, non formalisée. La prospective, elle, fait précisément du futur son objet d’étude : elle définit les avenirs possibles pour envisager les actions à mettre en œuvre face à des enjeux identifiés. « 2050 est un étalon temporel assez classique en prospective urbaine. Après, construire une image formalisée de la ville en 2050 ne suffit pas. La prospective vise à servir l’action. Soit en ayant recours au forecasting (on trace une trajectoire d’aujourd’hui à 2050), soit en privilégiant le backcasting (on part de 2050 pour revenir à aujourd’hui et aux dynamiques déjà en place). Quelle que soit la méthode, on a besoin de temporalités plus ou moins lointaines pour penser l’action, y compris l’action immédiate », explique Laurence Sellincourt, directrice Prospective et accompagnement du changement chez Auxilia.
La prospective présente pour la réflexion urbanistique a le double avantage d’inscrire la pensée dans un temps long et de privilégier un raisonnement par scénarios pour explorer des possibles divers, sans figer l’avenir dans une lecture unique. Surtout, elle est toujours une analyse au service de l’action.