Le scénario, brique méthodologique de la prospective urbaine
En matière urbaine comme dans d’autres domaines, les prospectivistes procèdent souvent par scénarios. Pas tant pour décrire précisément le futur que pour donner aux décideurs publics des cadres dans lesquels organiser leur propre réflexion. C’est ainsi qu’en juin 2020, Leonard, plateforme d’innovation et de prospective du groupe VINCI, a convié une vingtaine d’institutions, entreprises et organismes de recherche à définir quatre scénarios pour la ville demain. Une ville qui, quelle que soit l’hypothèse dessinée, est toujours, et d’abord, le reflet d’une environnement économique et social.
Scénario 1
La collaboration au service d’un regain économique local
Le télétravail étant devenu la norme, les salariés n’hésitent plus à s’installer dans des villes moyennes. Le phénomène d’exode urbain revitalise des petites villes en même temps qu’il les oblige à repenser leurs usages. Les écoles, par exemple, sont utilisées à des fins non scolaires pendant les week-ends. Les grands axes routiers bénéficient de dispositifs d’écrêtage du trafic. L’afflux de cadres à hauts revenus soulève de vrais enjeux transversaux : mobilité intercommunale, renforcement des services publics, mise en place de circuits de distribution plus soutenables. L’accélération du développement du maillage territorial se fait tout en limitant l’artificialisation des sols. Une dynamique de collaboration entre les différents acteurs se met en place : collectivités territoriales, entreprises, citoyens, collectivités régionales, administrations centrales…
Scénario 2
Exode urbain dans un contexte de stagnation économique
Les crises successives ont généré un chômage massifié. De nombreux urbains sont partis à la campagne à la recherche d’opportunités économiques que les métropoles ne garantissent plus. Le télétravail est devenu la norme chez les cadres supérieurs, creusant de profondes inégalités. Le contexte social, d’abord explosif, s’améliore au fur et à mesure que la transition écologique et la décroissance deviennent la nouvelle norme. Les mobilités de courte distance sont privilégiées, les pistes cyclables fleurissent en centre-ville. Le faible dynamisme économique réduit les déplacements longs de personnes et de marchandises. Si le chômage reste très élevé, environ à 20%, l’émergence d’activités non salariées permet d’améliorer les conditions de vie.
Scénario 3
Face aux fractures territoriales, le sursaut citoyen
Les plans de relance successifs n’arrivent pas à créer les conditions d’une croissance dynamique et durable. Les faillites d’entreprises se multiplient, les plans sociaux aussi, le chômage explose et le niveau de vie diminue. On voit émerger de nouveaux pôles économiques, démographiques et politiques territoriaux, qui attirent l’essentiel de la population, sans pour autant parvenir à fournir assez d’emplois pour tous. De nouveaux mouvements sociaux s’organisent, solidaires, très implantés localement, visant à recréer du lien social dans les plus grandes villes, de plus en plus paupérisées. Sous cette pression citoyenne, certaines métropoles sont parvenues à s’engager sur la voie d’une sobriété heureuse, d’autres pas.
Scénario 4
Emballement métropolitain sur fond de plans de relance tous azimuts
La croissance repart à la hausse, et le chômage à la baisse. Le télétravail n’est jamais devenu la norme. Les déplacements pendulaires, plus nombreux, sont de plus en plus longs. L’augmentation du prix de l’immobilier pousse les urbains à s’installer dans des périphéries sans cesse en expansion. Les grands investissements publics se concentrent en partie dans les nouvelles technologies. Dès le début de la décennie 2020, les 10 plus grandes villes étaient couvertes par la 5G. En parallèle, des grands chantiers industriels ont misé sur l’accélération de la mobilité à hydrogène, l’économie circulaire, l’énergie non carbonée. Les métropoles ont servi de courroie de transmission aux plans de relance successifs. Elles sont ultra-compétitives, accueillent une population très formée, des centres de recherches de premier plan et disposent d’importantes infrastructures. Dans cette compétition, les petites villes, malgré les aides publiques dont elles bénéficient, se sont vite retrouvées hors-jeu. Le contexte de croissance ne parvient pas à faire taire les tensions sociales suscitées par les enjeux écologiques et le creusement des fractures sociales. La crise n’est donc jamais loin.