L’espace, une ressource de plus en plus précieuse
Démographie urbaine en augmentation, artificialisation des sols prohibée, foncier sous tension : les espaces public et privé vont se faire de plus en plus rares. Et leur valeur devenir indissociable de leur accessibilité et de leurs usages.
L’espace a toujours été l’unité méthodologique des architectes. Mais à l’heure où les processus (historiques, sociaux, culturels, politiques, économiques, etc.) deviennent au moins aussi importants dans la fabrique des villes que le fait urbain lui-même, l’échelle à retenir ne se trouve-t-elle pas davantage dans les dynamiques de production, de transformation et de gouvernance de l’espace physique et social (appropriation, animation, conservation, prorogation) que dans les classiques étalons spatiaux ? Aujourd’hui, a fortiori demain, la consommation des espaces est et sera la métrique principale de l’architecture des villes. La cité de 2050 ne sera plus celle des grands programmes d’urbanisme, découpée en grands quartiers aux fonctions et usages spécifiques. Elle sera davantage à l’image et à la mesure de l’homme, hybride, fluide, vivante. Et accessible.
Le concept de « ville du quart d’heure », co-créé par l’universitaire franco-colombien Carlos Moreno, professeur associé à l’Institut d’administration des entreprises de Paris (Université Paris 1-Panthéon Sorbonne), qui vise à rendre les zones urbaines multicentriques pour permettre aux habitants d’accéder aux ressources du quotidien dans un rayon de moins de 15 minutes à pied, sera-t-il encore d’actualité dans trente ans ?
Composer avec le manque de place
Envisager l’espace par les usages, c’est inévitablement prendre en compte la valeur de l’espace. Croissance de la démographie urbaine et contrôle accru sur les ressources oblige, l’espace urbain – au sens de sa disponibilité d’usage – va devenir une matière de plus en plus rare. Très prosaïquement, la ville de demain doit composer avec le manque de place. Comment, dès lors, intégrer le besoin de compensation sociale d’un rétrécissement régulier de la sphère privée (un citadin qui changerait chaque année d’appartement perdrait, à loyer constant, un mètre carré par an) ? Il faudra transformer certains espaces publics en compléments, voire en prolongations de l’habitat.
Des taxis volants
dans quelques années ?
Alors que les rez-de-chaussée ont pour la plupart été conçus comme des espaces servant les étages supérieurs, le concept de rez-de-ville, de plus en plus souvent invoqué par les urbanistes, prône une vision à la fois extensive et intensive de l’espace public, où le dedans et le dehors s’entremêlent au service d’usages mixtes et étendus. Dans la ville de demain, espaces publics et bâtiments devront porter en eux le gène de leur interaction. La réduction drastique de la place de la voiture dans les villes aura constitué un levier essentiel dans la remise à disposition d’espaces urbains de rez-de-ville en grande partie construits autour de l’automobile. Aujourd’hui, à Paris, 50% de la voirie est dévolue aux voitures qui ne représentent que 10% des déplacements des habitants.
La verticalité et ses nouveaux usages
Il n’en demeure pas moins que, faute de foncier disponible, il faudra, dans les centres-villes, construire en hauteur. Des architectes ont récemment calculé qu’à Paris, sur un seul périmètre de douze rues, il était possible de gagner 450 000 m2 en surélevant certains immeubles. La verticalité des villes s’envisage elle aussi en termes d’usages. « On peut imaginer que les révolutions du sport poussent les architectes à penser des bâtiments offrant sur leurs diverses façades une prise à des activités comme l’escalade, le VTT, le plongeon et pourquoi pas la descente en kayak ou à ski », avance François Bellanger, fondateur du think tank Transit-city. Au-delà des mobilités corporelles, les réseaux de transports devront permettre d’exploiter les différentes strates d’un espace urbain tiré vers le haut : aires de stationnement et de recharge en étage, ascenseurs, télécabines. Ou encore plateformes dédiées aux drones de livraison. « Ces nouvelles mobilités verticales impliquent une révision des codes urbanistiques, à commencer par une réflexion sur le bâti. Jusqu’à présent, on est toujours entré dans les immeubles par le bas. Demain, il faudra libérer des accès au niveau des balcons, des terrasses, des toits », poursuit François Bellanger. Pour accueillir les navettes volantes, par exemple ? Sur ce terrain, côté constructeurs, la course est déjà lancée : Airbus en France, Volocopter en Allemagne, Ehang en Chine… Uber Elevate, la division de taxis volants d’Uber, a même dévoilé de nouveaux prototypes à deux ou quatre places. Fruits de partenariats avec la Nasa et l’armée américaine, ces appareils, qui visent une vitesse de fonctionnement allant jusqu’à 320 km/h pour une autonomie de 96 km, pourraient être lancés en exploitation commerciale dans quelques années. Le déploiement de ces nouvelles mobilités aériennes se heurte aujourd’hui à plusieurs obstacles, notamment liés à la sécurité (intégration aux systèmes de contrôle du trafic aérien, réglementations sur les vols au-dessus des zones urbaines), sur lesquels les régulateurs de nombreux pays sont en train de plancher. Autre frein : la contrainte énergétique. Les futures mobilités devront être non seulement décarbonées, mais énergétiquement sobres. Or, faire décoller une navette est aujourd’hui extrêmement gourmand en termes d’énergie.