L’ÉDITO DE THOMAS BONNEL
Il y a quelque chose de vertigineux à se lancer dans une réflexion sur la ville en 2050. Mais que c’est passionnant ! Soulignons d’emblée le paradoxe. La ville cristallise toutes sortes de représentations négatives : insécurité, pollution, bruit, stress, incivilités… et pourtant, inéluctablement, les populations se concentrent dans les zones urbaines. Elles seraient 70% à y vivre en 2050, et plus de neuf Français sur dix seront citadins à cet horizon. Avec la croissance démographique et l’allongement de la durée de vie, on mesure l’ampleur du défi. Singulièrement, la crise sanitaire nous a conduits à repenser notre rapport à la ville, sans qu’il soit démontré que nous assisterons à un « exode urbain » massif.
Osons un coup d’œil dans le rétroviseur : au milieu des années 70, la ville était l’emblème du règne de la voiture, de la société de consommation, de la propriété, de l’individu. Quelques utopistes comme l’architecte Jacques Rougerie imaginaient la ville sous-marine, ou la cité « cosmique » de l’architecte et compositeur Xenakis. Comme un retour de balancier, l’heure est désormais aux mobilités douces et au piéton, au partage et aux usages. La ville du quart d’heure a supplanté celle du périph’. Et les urbanistes d’aujourd’hui pensent un futur « souhaitable », ancré dans la réalité du possible. Une « prospective du présent », pour reprendre l’oxymore de Pierre Houssais, directeur prospective et dialogue public de Grand Lyon Métropole (voir p. 32).
Car, comme le souligne Marcus Zepf, co-directeur de l’École d’urbanisme de Paris (cf. p. 8-9), « les usages ne sont jamais totalement ceux que les décideurs urbains souhaiteraient qu’ils soient ». La ville rêvée diffère de la ville vécue. Il faut accepter une dose d’incertitude, d’inattendu, d’aléa. Et considérer qu’une part importante de la ville de 2050 est en chantier, sinon déjà construite.
Plusieurs tendances lourdes structurent les différentes approches. D’abord la dimension climatique. Cette prise de conscience conditionne aujourd’hui toute réflexion sur la ville. C’est dire qu’elle continuera d’être centrale demain. Les zones urbaines représentent 80% des émissions de gaz à effet de serre. Jadis, on voulait mettre les villes à la campagne ; voilà qu’il s’agit de mettre la campagne en ville… la (re)végétalisation de la cité est à n’en pas douter une des illustrations les plus frappantes de l’innovation au service du climat.
Deuxième enjeu : le numérique. La révolution est à l’œuvre : jusqu’où bouleversera-t-elle notre manière de vivre la cité ? En la matière, pas de « pensée magique », sans négliger le fait qu’à horizon 2040 le numérique devrait représenter 7% des émissions de GES. Tout est affaire de compromis et d’équilibres précaires. Vers une « smart city », soit, mais jusqu’à quel point ?
Enfin, la co-construction et l’implication des citoyens. Exercice difficile car les débats publics sont souvent phagocytés par des « habitués ». La représentativité en pâtit. Le consensus risque d’être « mou ».
La ville est aussi le lieu par excellence de l’appartenance sociale et de l’exercice de la démocratie. On voit à quel point se projeter dans ce que seront nos villes dans 30 ans nous ouvre des horizons multiples.