Le futur des villes, un sujet très partagé
Think tanks, cercles de recherche, associations, agences d’urbanisme… Dans leur démarche prospective, les villes, « agglos » et métropoles ne sont pas seules. Penser la ville demain, pour les élus, c’est d’abord compter ses partenaires.
« Imagine le grand Annecy » (voir page 28), « Bordeaux Métropole 2050 » (voir page 30)… Quelques agglomérations, villes et métropoles commencent à lancer de grandes consultations populaires autour des grands traceurs de leur développement à horizon 2030, 2040 ou 2050. Des démarches qui peuvent porter sur la totalité du territoire et de ses enjeux, comme « Imagine Metz Métropole, projet de territoire, projet de vie ». Ou viser des échelles spatiales ou thématiques plus réduites, à l’image de la démarche de prospective engagée fin 2021 par la métropole du Grand Lyon pour la Grande Porte des Alpes face aux enjeux de transition écologique : « Le projet envisagé devra intégrer l’enjeu fort de “réparation” d’un morceau de territoire fabriqué jusqu’à présent par la juxtaposition d’opérations successives », précise l’appel d’offres. Mais, quel que soit le parti pris de chaque initiative, il s’agit de projeter la ville, « l’agglo », la métropole vers des pas de temps significatifs : 2030, 2040 et 2050. Dans leur réflexion, dans la conception et le pilotage de leur démarche, les élus ne sont pas seuls. Ils peuvent s’appuyer sur un grand nombre de partenaires plus ou moins directement concernés par les enjeux de prospective urbaine.
La création en décembre 2019, sous la houlette du ministère de la Ville et du Logement, de France Ville Durable (FVD), convergence du réseau Vivapolis et de l’Institut pour la ville durable, s’inscrit dans cette volonté d’outillage des élus et des parties prenantes de l’environnement urbain au service de la fabrique urbaine. L’objectif de FDV est de donner de la lisibilité au paysage institutionnel sur la thématique de la ville durable et d’accompagner au plus près les collectivités dans leurs projets d’aménagement soutenable des territoires.
Le parti pris du décloisonnement
Les écosystèmes urbains se caractérisent par une diversité croissante d’acteurs de plus en plus hétérogènes et interdépendants. L’arrivée des nouveaux entrants du numérique, le repositionnement des acteurs historiques, la sédimentation d’une culture “bottom up” ont fragmenté une chaîne de valeur historiquement linéaire et modifié le jeu des frontières de régulation. Dès lors, il semble impossible, a minima vain et à coup sûr partial, d’envisager une réflexion sur le futur urbain sans faire de cette complexité le sujet et l’objet de la projection.
Organiser des coopérations formelles,
reconnues et acceptées.
Penser la ville de 2050, c’est prendre, d’emblée, le parti du décloisonnement. La fabrique urbaine, aujourd’hui, se nourrit d’une multiplicité d’expertises, de vécus, d’opinions. La floraison, en l’espace de quelques années, voire de quelques mois, de plateformes, agences, think tanks dédiés à la prospective sur la ville est à cet égard éloquente. POPSU, PUCA, la Fabrique de la Cité, Ibicity, Chronos, Université de la ville de demain, Transit-City…. Autour de ces lieux ouverts à la co-conception évolue une galaxie de structures de conseil en stratégie et développement urbains.
Combler le déficit démocratique métropolitain
Dans un registre plus institutionnel, les agences d’urbanisme se voient souvent confier des missions de prospective par leur territoire de tutelle. Le développement du modèle métropolitain va dans ce sens. Si les grandes villes françaises sont devenues statutairement métropoles à la faveur de la loi MAPTAM – qui a (re)donné des compétences aux collectivités territoriales –, elles demeurent des intercommunalités. A l’exception notable du Grand Lyon, les métropoles accusent en effet un déficit démocratique puisqu’elles ne sont pas gouvernées par des assemblées élues par un suffrage universel direct distinct des élections municipales. Dans ce jeu de tensions entre gouvernance supra communale et exécutifs municipaux, la réflexion sur la ville de demain ne peut se concevoir sans un préalable aussi délicat politiquement que fonctionnellement : l’organisation de coopérations formelles, reconnues et acceptées. L’élargissement du partenariat des agences d’urbanisme à des villes ou des agglomérations moyennes leur permet de répondre aux besoins d’ingénierie de territoires divers et d’accompagner le dialogue et la cohésion inter-territoires. Les agences d’urbanisme devront agir demain comme des outils d’articulation des échelles et des thématiques, et être en capacité de faire coproduire les acteurs.
Sans doute pour anticiper ces changements, de nouveaux modèles d’agences émergent : modèles polycentriques travaillant sur plusieurs agglomérations dans une logique de base de ressources communes, structures travaillant en réseaux locaux, agences développant des bouquets thématiques d’expertise.
Dans la fabrique de la ville de demain, les exécutifs savent surtout qu’ils ne peuvent rien décider sans prendre en compte la mutation des pratiques et donc sans observer, écouter, sonder les citoyens. Les Grands Voisins, Les Petites Cantines, la Cité Fertile, Fives Cail, la Cité de l’ÉcoHabiter, le 107, La Grande Halle de Colombelles… Autant d’aménagements qui ont fleuri en quelques années, souvent sous forme associative, avec une ambition commune : servir une vision solidaire et responsable de la ville, en portant une attention intelligente aux besoins exprimés par des citadins, résidents ou usagers. Autant d’expériences qui ont ouvert les écoutilles, rognant les bases d’une ville phagocytée par les seuls ingénieurs, architectes, promoteurs et aménageurs.