Le double défi climatique et démographique au cœur des projections
Penser la vie urbaine dans trente ans, c’est anticiper la transition énergétique et la croissance de la démographie urbaine. Ce qui suppose une réflexion globale et systémique.
Imaginons… Des boutiques remplacées par des hubs dotés de vitrines numériques ayant fonction de show-rooms immersifs et d’interfaces de commande. Des tours de contrôle servant la régulation des drones et des navettes logistiques automatiques de livraison. Des parcs nocturnes exclusivement dédiés à l’épanouissement d’animaux de la nuit. Des voies navigables investies par des bateaux à hydrogène. Le statut de la propriété immobilière soumis à l’obligation de cultiver des parcelles agricoles collectives. Des galeries techniques souterraines réservées aux mobilités mécaniques. Des pharmacies animales pour répondre à la prise en compte d’une meilleure intégration des animaux en ville. Des quartiers générationnels, conçus pour répondre au vieillissement de la population d’une part, à l’éduction et l’émancipation des enfants de l’autre. Des bars à culture proposant des outils métaverse pour visiter les musées à distance. Des centres ouverts de fabrication 3D en lieu et place des anciennes moyennes et grandes surfaces commerciales…
Toutes ces hypothèses relèvent-elles de la pure science-fiction ? Pas sûr, loin de là même… Certaines d’entre elles pourraient étayer bien avant trente ans le cycle continu de la transformation urbaine.
Les grands enjeux sont identifiés
Comment vivrons-nous dans les villes en 2050 ? Bien téméraire celui qui s’oserait à détailler nos modes de vie futurs. La ville se définit au travers de trois grandes dimensions : des formes urbaines, des interactions sociales et des flux. On peut imaginer les premières, en grande partie déjà en place. Plus difficile en revanche de prévoir les deuxièmes et troisièmes. Qui en 1910 aurait annoncé pour les trente prochaines années deux guerres mondiales, la fin des empires, l’essor de l’aviation, le vote des femmes ? Qui il y a trois ans aurait imaginé qu’un virus mettrait le monde entier sous cloche ? Qui aujourd’hui est en mesure de prévoir les augures de l’intelligence artificielle, l’impact des migrations, la profondeur de la crise des démocraties ? Alors, dire ce que sera la ville en 2050…
La ville se définit
au travers de formes urbaines,
d’interactions sociales et de flux.
Est-ce d’ailleurs si important ? Dans la projection urbaine comme ailleurs, la finalité du trajet a moins de valeur que le voyage en lui-même. Ce n’est pas parce qu’on ne peut savoir aujourd’hui à quoi ressembleront nos vies urbaines dans trente ans qu’il ne faut pas d’ores et déjà agir pour construire les contours d’une cité désirable. D’autant que, jamais autant qu’aujourd’hui, les déterminants de la conception de la ville sont suspendus à un enjeu qui conditionne tous les autres : la question du climat.
Les grands marqueurs de la transformation urbaine sont identifiés : hybridation entre espaces privés et espaces publics, création d’espaces privés collectifs, production de bâtiments réversibles, construction de logements sobres énergétiquement, végétalisation des artères et des surfaces, réduction du périmètre des mobilités, compensation de la rareté du foncier par la densification. Tous, sans exception, renvoient à la soutenabilité climatique.
La source et le remède de nos maux
Changement climatique, dérèglement de la biodiversité, fragmentation du vivre ensemble, propagations épidémiques : parce qu’elles concentrent les populations, les activités, les richesses et les infrastructures, les villes sont souvent désignées comme la source de toutes nos afflictions. A bien des égards, le constat est fondé. Mais c’est pour exactement les mêmes raisons qu’elles constituent une partie essentielle de la réponse aux grands défis qui traversent le monde. Parce qu’elles concentrent les moyens humains, politiques, financiers et technologiques, les villes abritent le matériau de la résilience. L’affirmation d’un objectif de neutralité carbone par la France et l’Europe en 2050, la prise de conscience collective des enjeux, l’expérimentation de solutions nouvelles à différentes échelles, mais aussi la mobilisation des acteurs sur le terrain, montrent que des bases encourageantes sont déjà posées. Pour être le remède à ses propres maux, la ville de 2050 doit toutefois surmonter un bataillon d’obstacles : déficit de dialogue entre acteurs de l’écosystème urbain (et pas seulement entre secteurs public et privé), partialité et obsolescence de l’analyse des enjeux et de la connaissance des situations, hésitations et crainte politique face aux choix de rénovation et de transformation urbaine. Autant de freins qu’il s’agit de lever sans attendre.
La crise sanitaire de 2020 et ses conséquences sociales et économiques ont encore accru l’urgence à agir, en élaborant des réponses démocratiques plus collectives, plus efficaces et plus inclusives. La réponse aux enjeux urbains est nécessairement globale : de l’immobilier aux technologies de la fabrique de la ville, de la gestion urbaine dans son ensemble aux politiques publiques à repenser. Si la politique est la gestion de la cité, la ville de 2050 est d’abord une expression politique.