A qui appartient la fabrique de la ville ?
La prospective urbaine n’est plus la seule affaire des administrations ou de cabinets. Elle est appelée à « redescendre » à l’échelle des citoyens. Du moins en théorie.
Dans les années 60-70, la ville du futur se décidait en partie dans les services de la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR). Avec les années 90, les territoires ont pu commencer à s’emparer de leur propre prospective. C’est l’époque des « grands scénarios » écrits à un horizon de vingt ans, qui serviront de base aux plans de stratégie urbaine. Ce transfert territorial avait pour objectif de rapprocher les citoyens des centres de décision. Il a permis de faire émerger de nouveaux modes et outils de fabrique urbaine. C’est peut-être la plus grande « révolution » urbanistique qui est en train de s’opérer : on ne peut plus penser la ville depuis une tour d’ivoire administrative, en fonction de choix politiques arrêtés à l’échelle gouvernementale ou des cabinets territoriaux. Les contours de la ville de demain se dessinent à l’aune d’une observation dûment renseignée des modes d’appropriation des espaces et services urbains par toutes leurs parties prenantes. Mais cela ne suffit pas. Encore s’agit-il de livrer ce matériau à la discussion pluridisciplinaire (économique, sociale, sociétale, culturelle) et à la consultation citoyenne.
Limite des modalités classiques de concertation
Face à la mixité des usages et à la grande diversité des opérations qui sous-tendent le fonctionnement urbain, il s’agit en effet de faciliter la coopération de l’ensemble des parties prenantes le plus en amont possible du processus d’urbanisation et d’organiser la concertation.
La démocratie participative s’adresse
dans les faits à des « abonnés »
peu représentatifs de la population.
Pas si simple. D’une part, le sujet urbain est par essence systémique et complexe. D’autre part, les modalités de dialogue jusqu’à présent mises en œuvre en matière d’aménagement se sont plutôt soldées par un bilan en demi-teinte. Les spécialistes de la démocratie participative le savent, la concertation, dans les faits, s’adresse d’abord à des « abonnés », un noyau de « clients récurrents » dont la très relative représentativité sociale fragilise la légitimité du débat, en tout cas des décisions qui pourraient en découler. Et les stratégies de contournement, comme le fait d’organiser les réunions publiques en semaine le soir à 19h ou le week-end à 9h n’y changent rien.
Parcours exploratoires et intertexting
Il s’agit donc, pour les « penseurs » de la ville de demain, de reconsidérer les méthodologies de concertation, peut-être en ayant recours au storytelling, aux réseaux sociaux, à la « convocation » citoyenne, aux parcours immersifs, hors les salles de réunion, pour faire en sorte que les projets intéressent les gens. Marches exploratoires, marches sensibles, diagnostics en marchant et encore plus récemment intertexting : de nouvelles méthodes de diagnostic et de discussion urbains sont aujourd’hui (re)découvertes et éprouvées. Reste, et c’est l’autre impératif méthodologique – trop souvent négligé – de toute démarche de concertation, à éviter la tentation du retrait une fois les décisions validées : on ne peut pas associer les citoyens à une concertation autour de ce que seront leurs usages demain et quitter le tarmac au terme d’un mandat électif.