De la ville idéalisée à la ville désirable
La représentation urbaine a toujours prêté le flanc aux spéculations intellectuelles. Objet philosophique et politique, la ville du futur prend racine dans le passé le plus reculé.
Longtemps, la ville du futur aura été une utopie. Une représentation idéalisée, dont toutes les clés d’entrée, architecturale, coutumière, légale, gouvernementale, ont été pensées au service d’une vision rêvée de l’humanité. Jéricho (9 000 ans avant J.-C.), Alep et Damas (4 300 av. J.-C.) n’ont pas été que des réponses industrielles à des besoins démographiques et sociaux. Elles ont transformé en quelques centaines d’années de modestes réalités villageoises en édifications urbaines capables de cristalliser de nouveaux modes de vie, de nouvelles visions du monde. Au Ve siècle avant J.-C., l’architecte grec Hippodamos, appelé à reconstruire la cité de Milet, détruite par les Perses, se montrera l’un des précurseurs de l’urbanisme fonctionnel. Libéré des contraintes d’un bâti existant, il fera valoir sa vision novatrice de la ville : division de l’espace en zones, régularité du tracé, adaptation à la situation géographique.
De Socrate à Fourier
L’historien Jean-Pierre Vernant a montré que les premiers urbanistes comme Hippodamos sont en réalité des théoriciens politiques. La ville est à la fois sujet et objet des représentations de l’idéal politique. C’est dans la ville et avec la ville que sont nées la république et la démocratie.
C’est dans la ville
et avec la ville que sont nées
la république et la démocratie.
La figure urbaine est par essence une figure philosophique. Socrate pérégrine dans Athènes en interrogeant les hommes. Platon imagine une république idéale. Thomas More crée le concept de l’utopie, agglomération insulaire sans propriété privée, où tous les hommes sont égaux et les femmes traitées comme les hommes. Charles Fourier théorise la ville comme le lieu de réalisation de l’égalité entre les hommes. Figure conceptuelle, figure rêvée, la représentation de la cité s’est ouverte, au fil du développement urbain et de la croissance démographique, à des symboliques plus négatives. Confrontée à ses propres réalités, la ville est devenue l’allégorie de toutes les dérives morales et des dommages collatéraux du progrès : insécurité, bruit, saleté, pollution, maladies…
Une lecture plus technique et pragmatique de la ville
Les utopies ne sont pas faites pour être réalisées. Quand elles le sont, elles virent assez mal et la tyrannie n’est jamais loin. Aujourd’hui, les utopies de l’antiquité et de la pensée humaniste ont cédé le pas à une lecture plus technique et pragmatique de la ville. La portée philosophique de la réflexion urbaine, elle, garde toute sa puissance. La ville du futur demeure un objet de spéculation intellectuelle : comment réconcilier l’homme avec la nature ? Quelles nouvelles formes de gouvernance et processus démocratiques ? Quels circuits pour des écosystèmes soutenables ? Comment articuler les besoins individuels et la densité démographique ? Le développement durable est-il réductible à l’hygiénisme, la sécurité au sécuritaire ? Le rêve de construire une cité idéale n’est sans doute plus d’actualité. Celui de construire une cité désirable, a minima soutenable, est bien présent. A chacun d’y mettre ses propres imaginaires. Aux sociétés tout entières d’en faire le lieu de communautés humaines émancipées, solidaires et pacifiques.