Les hauts et les bas du recyclage de l’uranium
Le retraitement du combustible radioactif usé est au cœur de la politique nucléaire française. Mais dans la pratique, le combustible n’est jamais intégralement valorisé.
La stratégie nucléaire de la France repose sur le principe de la valorisation du combustible usé, à l’origine du centre de retraitement de La Hague, dans la Manche. Dans cette usine, qui appartient au groupe Orano (ex-Areva), le combustible usé est retraité et transformé en un mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium, appelé MOX. Le MOX alimente 32 des 56 réacteurs français, ce qui économise jusqu’à 200 tonnes d’uranium par réacteur chaque année. Mais ce n’est pas si simple.
L’enrichissement
de l’uranium devrait
reprendre en 2023,
selon EDF.
La filière de retraitement, financée par les producteurs selon le principe du pollueur-payeur, commence par trier le combustible usé en plutonium (1%), matières fissiles (4%), et uranium de retraitement (95%). Le plutonium est retraité en MOX à Marcoule, dans le Gard. Les matières fissiles sont considérées comme des déchets ultimes : elles sont vitrifiées, c’est-à-dire incorporées à une matrice de verre, et stockées dans des conteneurs entreposés à La Hague, en attendant leur transfert éventuel à Cigéo. Quant à l’uranium de retraitement, il a été enrichi par EDF de 1994 à 2013 pour être réutilisé comme combustible neuf dans la centrale de Cruas, dans l’Ardèche. Mais cette réutilisation, trop coûteuse, a été arrêtée en 2013, et depuis, il est entreposé à La Hague.
Des piscines remplies de MOX à 93%
D’après les industriels du nucléaire, le taux de combustible usé « valorisable », qui comprend le plutonium et l’uranium de retraitement, atteindrait en théorie 96%. En réalité, seul le plutonium, donc 1%, est réellement valorisé en MOX. En effet, la France ne pratique pas le multirecyclage du MOX, même s’il est techniquement possible. Le MOX, après utilisation en réacteur, est entreposé dans des piscines de refroidissement à La Hague. Or ces piscines sont déjà remplies à 93% et devraient atteindre leurs limites de capacité d’ici 2030. À cette date, EDF prévoit d’aménager une piscine supplémentaire sur le site de Belleville-sur-Loire, dans le Cher, pour regrouper ses combustibles à base de MOX et d’uranium de retraitement. En attendant, le stock d’uranium de retraitement augmente de 1 000 tonnes par an. L’électricien a donc annoncé en 2018 qu’il reprendrait l’enrichissement de l’uranium de retraitement à partir de 2023 pour l’écouler, en remettant 1 300 tonnes chaque année dans la boucle. Par ailleurs, au printemps 2021, Orano a été accusé par Greenpeace d’exporter des déchets nucléaires vers la Russie. Il s’est défendu en déclarant avoir conclu un contrat de fourniture d’uranium recyclé avec l’entreprise russe Rosatom pour qu’elle le ré-enrichisse et s’en serve comme combustible dans ses réacteurs.
Recycler coûte aussi cher que ne pas recycler
D’un point de vue économique, le retraitement est-il rentable ? D’après la filière du nucléaire, les coûts du recyclage et du non-recyclage sont équivalents. Mais le choix d’enrichir de l’uranium appauvri dépend du cours de l’uranium naturel : tant que celui-ci reste bas, EDF n’y a aucun intérêt. S’il remonte, l’enrichissement devient rentable et l’uranium de retraitement rejoint la réserve stratégique disponible pour les centrales. Reste une question : que deviendra l’uranium de retraitement lorsqu’EDF arrêtera ses réacteurs d’ici 2035, comme le prévoit la Programmation pluriannuelle de l’énergie ? L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) préconise qu’il soit requalifié en déchet de faible activité à vie longue et stocké comme tel, en violation complète du principe de valorisation du combustible usé.