L’ensemble du territoire français est profondément marqué par l’industrie nucléaire
Démographie, emploi, fiscalité… Les centrales nucléaires ont eu un impact déterminant sur les territoires essentiellement ruraux où elles se sont implantées, les rendant dépendants et fragiles face aux perspectives de fermetures.
Répartis en 19 centrales comptant chacune entre deux et quatre réacteurs (à l’exception de Brennilis, qui n’en compte qu’un aujourd’hui arrêté, et de Gravelines qui en compte six), les 56 réacteurs français maillent l’intégralité du territoire hexagonal.
Lors du déploiement du programme nucléaire français entamé au mitan des années 1970 et monté en puissance entre 1980 et 1990, les sites d’implantation des centrales ont notamment été choisis en tenant compte de considérations techniques : un accès sécurisé à une source d’eau au débit suffisant et constant (bords de fleuves et de mer) pour le refroidissement des réacteurs, et des terrains de taille suffisante (150 à 200 hectares pour quatre réacteurs) et suffisamment stables pour résister au poids des installations. Ajoutés à celui du prix du foncier, ces critères ont abouti à l’implantation de nombreuses centrales dans des zones rurales et peu peuplées, plutôt qu’à proximité de zones de consommation comme dans d’autres pays. Un choix qui répondait aussi à des impératifs politiques. Dans un rapport de 1974 qui détaille les directives pour le déploiement du parc, Michel d’Ornano, alors ministre de l’Industrie, le justifie tant pour des raisons de prévention en cas d’accident que pour l’éloigner des militants antinucléaires, perçus alors comme principalement urbains. La construction du parc nucléaire français ayant coïncidé avec la fin de l’exode rural, l’arrivée des centrales a inversé la déprise des territoires concernés. Souvent, la centrale en devenait de très loin le principal, voire le seul employeur, avec pour conséquence un inversement de la tendance démographique. Dans la quasi-totalité des cas, la croissance des communes d’implantation entre l’année de construction et d’entrée en service des centrales a été largement supérieure à celle de leur département. Par ailleurs, l’implantation d’une industrie exigeante en matière de qualification a favorisé une mobilité sociale ascendante.
Piscines, médiathèques et baisse des impôts locaux
En revanche, promues auprès des élus locaux comme des leviers de ré-industrialisation plus large grâce à des tarifs de l’électricité avantageux ou à la disponibilité des rejets thermiques des réacteurs, les centrales n’ont pas toujours tenu leur promesse de drainer derrière elles d’autres activités.
A Gravelines,
la centrale a attiré l’usine
d’aluminium.
Ce fut néanmoins le cas à Gravelines, où la centrale a attiré l’usine d’aluminium (aujourd’hui opérée par Arcelor Mittal) et plus récemment un data center OVH. À Saint-Vulbas (Ain), la rente nucléaire du Bugey a permis à la municipalité de diminuer drastiquement le taux de la taxe professionnelle pour attirer des entreprises. Car l’implantation d’une centrale se traduit par le paiement d’importantes taxes, professionnelle – devenue « impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux » (IFER) en 2010 – et foncière, appliquées à ces infrastructures particulièrement intensives en capitaux. Ce qui constitue une manne financière d’autant plus conséquente pour les communes concernées qu’elles sont souvent faiblement peuplées. Outre la possibilité de faire bénéficier leurs habitants d’une fiscalité avantageuse, cet afflux d’argent leur a permis de réaliser des travaux d’embellissement ou de réhabilitation, de faire construire piscines, médiathèques et autres salles de spectacles, et d’offrir une haute qualité de service à leurs administrés, notamment aux personnes âgées et aux familles. Cette manne a favorisé la création de communautés de communes. Quoi que de façon plus marginale, les départements aussi ont bénéficié d’une part de ces retombées fiscales grâce aux fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle.
Des centrales évoquées sur le blason des villes
Dans ces conditions, élus comme riverains ont en général une opinion positive de la centrale locale, perçue comme pourvoyeuse d’emplois et de richesse. La perception du risque semble même diminuer avec la distance qui les sépare des installations. En outre, les sites des centrales nucléaires constituent des écosystèmes remarquables favorisés par l’absence d’activités humaines sur les berges des cours d’eau en amont et en aval des réacteurs. Des espaces valorisés par EDF et particulièrement précieux pour les visites qu’organisent les directeurs de centrales nucléaires dans un souci d’intégration de l’entreprise dans son territoire. Dans certains cas, cet attachement local est allé jusqu’à inclure une référence à la centrale sur le blason de la ville, comme à Cattenom et à Fessenheim. Mais le blason a un revers : l’avenir de ces territoires, dont l’économie repose sur une rente de situation basée sur la présence d’une source d’énergie dont elles tirent profit, est menacé par la perspective de leur fermeture. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si EDF envisage d’implanter les trois premières paires de ses futurs EPR2 sur les sites de certaines des centrales* que l’entreprise a proposées à l’État dans le cadre des 14 fermetures de réacteurs prévues d’ici à 2035 : à Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Nord), puis Bugey (Ain) ou Tricastin (Drôme).
* Blayais, Bugey, Chinon, Cruas, Dampierre, Gravelines et Tricastin