L’ÉDITO DE THOMAS BONNEL
C’est l’invité surprise, celui qu’on n’attendait pas : le nucléaire investit la campagne présidentielle, sur fond de PFUE et de débat houleux entre les États membres sur la taxonomie verte. Avouons-le, lorsque nous avons programmé ce numéro, nous n’imaginions pas à quel point il serait d’actualité. Et pourtant, le sujet est on ne peut plus chaud. En témoignent le compromis européen du 2 février dernier qui fait du nucléaire une « énergie de transition », réussissant à mécontenter tout le monde, les « pro » comme les « anti », et le discours d’Emmanuel Macron, le 10 février à Belfort, aux accents gaulliens, qui convoque « une France qui renoue avec sa grande histoire industrielle, regarde l’avenir et montre le chemin », et proclame : « Oui, le temps de la renaissance nucléaire est là. »
Car la question relève, il est vrai, de la quadrature du cercle. Comment concilier une demande d’énergie en forte croissance, en raison de la démographie et de la multiplication des usages, avec l’urgence climatique, qui impose des objectifs tout aussi légitimes de réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre ? Force est de constater que de ce point de vue, le nucléaire est – du moins pour la production d’énergie en tant que telle – une solution peu émettrice de CO2. Les « anti » rappellent à juste titre que l’analyse du cycle de vie (de l’extraction du minerai à la gestion des déchets) tempère ce constat. Mais ceux qui ont renoncé au nucléaire, comme l’Allemagne ou la Suisse, ont dû recourir au charbon, faute de disposer de capacités suffisantes en énergies renouvelables (EnR), au détriment de leur bilan carbone, ou accru leur dépendance aux importations de gaz, principalement russe. La Chine, pressée de décarboner son énergie, s’est résolument portée sur le nucléaire : elle multiplie les solutions innovantes (SMR, fusion, etc.) pour être en capacité de choisir la meilleure et sans doute aussi d’exporter ses savoir-faire.
En France, le débat s’éclaire d’un jour nouveau, teinté de realpolitik et d’une certaine ambivalence. Selon une étude de 2021, près de la moitié des Français voient dans l’atome une « énergie d’avenir ». Ils n’étaient qu’un petit quart à le penser trois ans avant. Au-delà des postures politiques, parmi les scénarios de mix pour le futur, celui qui intègre le nucléaire a davantage le vent en poupe que celui à 100% en EnR. Or, longtemps pionnière, la filière française est désormais à la traîne : manque de personnel qualifié, perte de savoir-faire, errements de programmes comme l’EPR de Flamanville portent atteinte à la fierté nationale. Un retard qu’il faudrait vite rattraper…
Mais comme le dit Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE (voir p.15), « le niveau de consommation et le dimensionnement des infrastructures (…) dépendent aussi de choix de société ». L’enjeu est bien là : au-delà de l’indépendance énergétique et de l’évolution des usages, c’est du monde dans lequel nous voulons vivre et que nous préparons pour les générations futures qu’il s’agit.