« La racine du mal, à l’hôpital, est managériale »
Qu’est-ce que la crise sanitaire a révélé du monde de l’hôpital ?
Elle a mis en évidence ce pour quoi je me bats depuis vingt ans : la nécessité absolue de mettre l’humain au centre de tout. La racine du mal, à l’hôpital, est managériale. Le secteur de la santé a copié des modèles délétères issus de l’industrie, construits autour de processus, d’indicateurs, de rationalisation des tâches, d’objectivation, avec des dégâts épouvantables partout où ils sont appliqués : désengagement, burn out, perte de sens. En important ces modèles pernicieux, on a fait le choix de maltraiter les gens et on s’est fourvoyé. La santé, secteur de l’humain par essence, doit porter une vision, une culture et des pratiques humanistes. Sinon, qui le fera ?
Ce fourvoiement s’est pourtant fait au nom de la performance…
Je dirige l’un des établissements privés les plus performants de France en termes de résultats économiques, avec un chiffre d’affaires de 125,5 M€.
93% de nos 1 200 salariés
travaillent en CDI.
Cette réussite, nous l’avons construite sur une vision humaniste de l’hôpital. La clinique Pasteur appartient à des médecins. Depuis toujours, ses actionnaires ne perçoivent aucun dividende. La majorité des praticiens est conventionnée en secteur 1. Nous avons un turn-over très faible pour le secteur et 93% de nos 1 200 salariés travaillent en CDI. Surtout, nous avons mis en place des modèles de gouvernance inversés. La direction, certes, arbitre, mais c’est la base qui propose. Le fonctionnement de l’hôpital repose sur un organigramme très plat, avec peu de strates hiérarchiques. Pour ceux qui dirigent, nous avons institué des rituels d’immersion au contact des collaborateurs et des patients.
Comment infléchir le renoncement et le départ des infirmières des hôpitaux ?
Le pays a eu beau applaudir les personnels de santé aux balcons lors du premier confinement, le Ségur de la santé a eu beau décider d’une augmentation des salaires inédite dans la profession, les infirmières continuent de partir. Là encore, la réponse est dans le management, l’attention et la responsabilisation. À la clinique Pasteur, nous avons adopté et lancé en 2010 le projet participatif ARIQ (attraction, rétention, implication des infirmières et qualité des soins), déployé dans certains établissements en Belgique. Il s‘agit d’une démarche structurante, dont l’efficience est mesurée chaque année et soumise à une commission autonome faisant partie du comité de pilotage de développement durable de la clinique.
Et plus concrètement ?
Cela nous a permis de mettre en œuvre des évolutions significatives, proposées par les soignants eux-mêmes : formation qualifiante des infirmiers, formations diplômantes dans les parcours de professionnalisation des infirmiers de bloc opératoire, puéricultrices et aides-soignants, évaluation de la charge en soins pour tous les services avec diffusion des résultats auprès des équipes, poursuite de l’absence de recours aux agences intérimaires avec un service infirmier de compensation et de suppléance, réorganisation des services (gestion du temps, mobilité interne…), etc. Cette démarche de longue haleine nous a valu de recevoir les prix « ressources humaines » des Trophées de la FHP et « meilleure initiative sociale » aux Awards DDH.