Une maison de santé virtuelle sur le plateau de Millevaches
Pharmacien en Corrèze, il défend une approche solidaire de la santé. Et joint les actes à la parole.
« Non seulement le système de santé n’est plus adapté à notre monde, mais il s’est installé dans un modèle qui va à l’encontre des valeurs qui l’avaient fondé ». Jeune pharmacien à la tête d’une officine dans la petite commune corrézienne de Bugeat (2 500 habitants), Antoine Prioux le clame depuis ses études à la faculté de Toulouse : il faut repenser, en l’inversant, tout le modèle de financement des professionnels de la santé. « Aujourd’hui, plus les gens sont malades, mieux les professionnels de santé sont payés. Le médecin est rémunéré sur la quantité de ses actes, l’hôpital sur le volume de son activité et l’infirmière sur le nombre de kilomètres parcourus. Moi, pharmacien, on me paie pour les boîtes de médicaments que je vends, alors que je devrais l’être pour toutes celles que je ne vends pas. N’y a-t-il pas dans tout cela quelque chose qui cloche ? », argumente-t-il.
Un réseau pour 4 000 patients
Après des années de plaidoyer auprès des élus, des administrations déconcentrées et jusqu’aux cabinet ministériels, Antoine Prioux ne place plus grand espoir dans la capacité des politiques à s’attaquer aux fondements du mal. « On ne peut répondre aux questions complexes que si on a les pieds dans la glaise et la tête dans les nuages », lance celui qui se présente comme un « résistant ».
Le pharmacien doit redevenir
le “gardien des poisons” qu’il fut à l’origine.
Très vite, il a choisi d’agir à son échelle, avec ses moyens, sur son territoire. Avec une communauté de praticiens mobilisés sur le périmètre du plateau de Millevaches, il a créé le réseau Mille Soins, dont il est le porte-parole. Objectif : améliorer l’offre de soins et le suivi de patients au sein d’une population dispersée dans un maillage très lâche de petits hameaux. Constitué sous statut de société interprofessionnelle de soins ambulatoires (SISA), cette maison de santé virtuelle réunit une petite trentaine de généralistes, pharmaciens, infirmiers, kinés, dentiste, pour une patientèle potentielle globale d’environ 4 000 personnes.
Informatique et téléphonie partagées
Pour proposer cette offre, relier les professionnels de santé entre eux en leur permettant d’échanger dossiers, agendas et informations, il a fallu créer un outil informatique partagé et une téléphonie propriétaires. Parallèlement, Antoine Prioux a développé son propre logiciel de gestion d’officine. « La grande innovation de cette solution, c’est qu’il repose sur un modèle de prescription en multiples de semaines plutôt qu’en mois, comme c’est partout la norme. Le parcours de soins s’en trouve nettement amélioré et le pharmacien gagne en productivité par une diminution de l’’immobilisation de stock et des étapes de manutention », explique-t-il.
La démarche entreprise dépasse de loin la seule coordination technique. Il s’agit de sortir les professionnels de leur propre isolement, de partager des méthodes, des actions de prévention, des protocoles, des réflexions et des avis. Une vision de la santé où le pharmacien doit transformer son métier, redevenir le « gardien des poisons » qu’il fut à l’origine : un expert qualifié pour connaître les molécules, évaluer l’équation bénéfice-risque des ordonnances, vérifier les éventuelles interactions médicamenteuses, veiller à l’efficience sur la durée des traitements. « Notre seule finalité, c’est d’améliorer au maximum la qualité des soins, et au meilleur prix », soutient Antoine Prioux.