Numérique : nouveaux enjeux, nouveaux risques
Téléconsultation, intelligence artificielle, data… Le digital va ouvrir de nouveaux horizons au monde de la santé. À celui-ci d’accepter un prérequis absolu : la régulation.
500 millions d’euros : c’était le budget initialement prévu par le plan Ma Santé 2022 pour soutenir la transformation numérique des hôpitaux. Et puis la crise sanitaire est passée par là, dopant les ambitions gouvernementales et portant l’enveloppe à deux milliards. Alors que la France en est à son quatrième Plan numérique santé (PNS) depuis le début des années 2000, jamais la stratégie e-santé n’avait bénéficié d’une telle charpente financière.
Signe de la détermination du politique à transformer les intentions en actes : la volonté affichée de simplifier l’écosystème du numérique. Il manquait notamment un chef d’orchestre pour coordonner les différents acteurs. Mission désormais confiée à la Direction de la santé, qui s’appuie sur l’Agence du numérique en santé (ANS). La dynamique de numérisation de la santé repose sur un certain nombre d’axes stratégiques. Le programme HOP’EN (pour Hôpital dans son environnement) vise à moderniser les SIH, faciliter et sécuriser la collaboration entre les établissements, les professionnels de ville et les patients. Le programme e-Parcours a pour objectif de renforcer les échanges entre professionnels de tous les secteurs grâce à des bouquets de services numériques simples, ergonomiques et sécurisés et assurer une prise en charge globale et personnalisée des patients. Avec ses 46 000 établissements, soit quinze fois plus que le secteur sanitaire, le secteur médico-social, qui a pris un net retard en matière d’outils et de services numériques, bénéficie d’un investissement historique de 600 millions d’euros sur cinq ans, obtenu dans le cadre du Ségur de la santé.
500 millions de documents échangés chaque année via « Mon espace santé »
La révolution numérique en santé est d’abord synonyme de nouveaux services qui permettront aux usagers de disposer de toute l’information nécessaire pour devenir acteurs de leur santé. Pièce maîtresse de cette logique : le lancement au 1er janvier 2022 de « Mon espace santé », un compte personnel unique donnant accès à un portail personnalisé de solutions et de données : agenda, dossier partagé, compte-rendu des dernières opérations, rappels de traitements, d’examens et de vaccinations, messagerie sécurisée… « Mon espace santé » vient « absorber » le Dossier médical partagé (DMP) qui, malgré les relances par les gouvernements successifs, peinait à convaincre (10 millions de dossiers ouverts et jamais utilisés, pour un objectif à 2023 de 40 millions de dossiers actifs). Sauf refus explicite de sa part, chaque Français sera doté à partir 1er janvier 2022 d’une Identité nationale de santé (INS). L’objectif affiché est d’atteindre 500 millions de documents échangés par an en 2024 grâce à la plateforme.
Le boom attendu de la télémédecine
Sans se substituer à la pratique médicale traditionnelle, la télémédecine va faciliter l’accès de la population à des soins de proximité, pallier le manque de professionnels de santé et renforcer les fonctions des établissements isolés. Le plan « Ma santé 2022 » présente d’ailleurs la téléconsultation comme un moyen de lutter contre les inégalités géographiques d’accès aux soins. Reste toutefois à combler les zones blanches disséminées sur tout le territoire, qui se chevauchent bien souvent avec les déserts médicaux.
Près de 355 milliards de dollars
investis dans le numérique par
le secteur mondial de la santé.
Le numérique doit également faciliter l’exercice des professionnels et renforcer leur coordination par des outils sécurisés, interopérables, simples d’utilisation. Cela passera entre autres par le développement des prescriptions dématérialisées, le développement de la télémédecine pour les médecins et, demain, du télésoin pour les personnels paramédicaux. Autre volet stratégique de la numérisation : le développement de l’intelligence artificielle, qui va bouleverser la donne en cherchant à produire et utiliser des données dans l’objectif de faire progresser la recherche, les soins et l’innovation en santé. On compterait déjà plus de 160 millions d’objets de santé connectée en libre circulation à travers le monde en 2020. Selon une étude du cabinet Grand View Research, le secteur mondial de la santé investira près de 355 milliards de dollars dans les dispositifs IoT, logiciels et services en 2022, contre 46 milliards en 2015.
Explosion de la data, exposition aux risques cyber
Si le développement de l’intelligence artificielle ouvre de réelles perspectives pour la performance du système de santé, il soulève un défi considérable, celui de la protection des données personnelles. C’est le rôle dévolu à la Plateforme des données de santé (PDS), également appelée « Health Data Hub » (HDH), créée par arrêté du 29 novembre 2019 à des fins de recherche et d’innovation et de sécurisation des données. Les données de santé sont susceptibles d’être exploitées à des fins diverses. Les banques peuvent y avoir recours avant d’accorder des prêts, les assureurs pour fixer les prix de leur police, les employeurs pour affiner leurs critères de recrutement. La valeur de de la data de santé en fait une cible privilégiée des cybercriminels. En 2020, la CNIL a enregistré une hausse de 24% des notifications de violation de données santé, avec 2 825 cas.
Alors que les Gafam investissent des milliards d’euros en start-up, plateformes et compétences liées à la numérisation médicale, la rapidité de préemption d’un acteur comme Doctolib dans le domaine de l’accès aux soins ne va pas non plus sans soulever son lot de questions, à commencer par la construction de nouvelles équations entre les secteurs privés et publics. A la faveur de la crise sanitaire, la start-up française de prise de rendez-vous, sollicitée par les pouvoirs publics dans la stratégie vaccinale, a littéralement transformé l’expérience patient, notamment en simplifiant nettement le parcours client, réussissant de ce fait à se rendre incontournable dans l’accès aux soins. Une position dominante qui suscite nécessairement des critiques. Ainsi que des interrogations sur la place que pourra prendre demain une nouvelle génération d’acteurs dans le système de santé.
La numérisation du secteur renvoie à de nouveaux enjeux et à de nouvelles opportunités, mais aussi à de nouveaux risques, à commencer par les dérives d’une possible dérégulation. Elle appelle donc des exigences en termes de gouvernance et d’encadrement. Et là plus qu’ailleurs, tout, ou presque, est à inventer.