L’entreprise, acteur incontournable du parcours de santé
Si les entreprises en France se sont emparées des sujets de santé, c’est beaucoup sous la contrainte réglementaire. La crise de la Covid a accéléré la lecture préventive au sein des organisations du travail.
Les restructurations et les changements organisationnels du travail, ainsi que le climat d’incertitude sur l’avenir professionnel qui ont accompagné la crise de la Covid ont eu un impact non négligeable sur la santé mentale et le bien-être au travail. Les contreparties mises en place, comme la réduction du temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail qui a attenué le niveau de stress et de fatigue des télétravailleurs, n’ont pas suffi à compenser les souffrances vécues dans un contexte anxiogène rarement atteint. Certes, la question de la santé en entreprise n’est pas nouvelle. Mais la pandémie a également fait avancer le sentiment de responsabilité des employeurs à l’égard de la santé de leurs collaborateurs et accéléré la mise en place dans les organisations du travail de chaînes de valeur associant prévention, diagnostic, traitement, suivi, amélioration.
D’une logique de coût à une logique d’investissement
Depuis une quinzaine d’années, et essentiellement à la suite d’événements dramatiques (suicides au travail, développement des cas de burn-out d’origine professionnelle…), la France a pris conscience des enjeux de la prévention des risques psychosociaux (RPS). Pour la santé des salariés bien sûr, mais aussi pour la performance économique des entreprises. La succession des Accords nationaux interprofessionnels (ANI), sur le stress au travail en 2008, le harcèlement moral et les violences en 2010, la qualité de vie au travail en 2013 et la santé au travail en 2020, montre la préoccupation renouvelée des partenaires sociaux autour de ces questions. La loi du 2 août 2021 sur la prévention en entreprise va aussi dans ce sens.
Chaque euro investi
dans la santé et sécurité
au travail rapporte 2,20 euros.
La santé pèse de plus en plus cher dans les lignes de dépenses des entreprises : coûts sociaux payés par les charges patronales et, surtout, prévention (mesures prises pour éviter les accidents, contrôles divers, vaccinations, etc.). A ceci s’ajoute un arsenal juridique renforcé sur ces questions. Les entreprises doivent non seulement prévoir des budgets préventifs (écrans plus performants, sièges ergonomiques, salles de repos, etc.) et curatifs (normalement couverts par les assurances en cas d’accident du travail), mais aussi prendre en charge les dépenses liées aux risques psycho-sociaux, aux nouvelles normes (norme Iso 45 001), à la « qualité de vie au travail » (QVT). Selon l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, le coût que les blessures et les maladies liées au travail font peser sur la société voisine autour de 3,3% du PIB de l’Union européenne. Pour autant, la Santé sécurité au travail (SST) ne doit pas être envisagée dans une logique de réduction des coûts, mais bien dans une dynamique d’investissement. Une étude de l’Association internationale de la sécurité sociale révèle que chaque euro investi dans la SST rapporte 2,20 euros.
Casser le plafond de verre de l’accidentologie
On sait aujourd’hui qu’entre 60 à 80% des événements indésirables en matière de santé-sécurité sont associés à des comportements inadaptés (non-respect de règles, prise de risque, manque de réflexion ou encore habitudes). Développer une culture et des comportements santé-sécurité, pensés comme partie intégrante de la culture d’entreprise et partagés par tous les collaborateurs, est essentiel pour casser ce plafond de verre de l’accidentologie. Pour les entreprises, il s’agit donc de faire de la prévention de la santé physique et mentale et du bien-être au travail une véritable priorité de direction générale. Faire porter les actions par un fort engagement des dirigeants de l’entreprise ne suffit cependant pas si un fort consensus entre partenaires sociaux n’est pas établi. D’où la nécessité d’inscrire les actions au cœur du dialogue social.
Pour gommer les disparités et assurer un même niveau de services à tous les salariés, les services de santé au travail sont désormais tenus de proposer une « offre socle », un bouquet minimal de services. Sur le modèle de ce qui a été fait pour les organismes de formation, seuls les services de santé au travail proposant cette offre socle et garantissant une certaine transparence sur leurs comptes seront certifiés. A côté de cette offre commune de base, qui devra couvrir toutes les missions attendues des services de santé au travail, ces derniers pourront proposer, comme aujourd’hui, une offre complémentaire, à la carte, en fonction des attentes de l’entreprise : formation au secourisme, intervention de prévention en entreprise… Le développement des interfaces digitales dans l’entreprise pourrait trouver ici une rampe d’accélération, au travers d’applications diverses, d’outils de suivi des vaccins pour les déplacements internationaux, d’alertes d’incitation à la déconnexion, de plateformes de big data, etc.
La France en retard dans la prévention
L’intégrité physique des salariés a été à la base du droit du travail dès 1841 pour les mineurs, en 1893 pour tous les travailleurs, puis dans les deux dernières décennies du 20ème siècle (prévention des accidents du travail en 1976, directive-cadre européenne en 1989). Dans la compréhension managériale, force est de reconnaître que le fait est beaucoup plus récent. Et la France accuse encore certains retards en matière de prise en compte de la santé dans les entreprises. Selon l’agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, l’Hexagone est, avec la Finlande, le pays de l’Union européenne le plus touché par les troubles musculo-squelettiques (TMS). Surtout, le pays ne consacre que 3% des cotisations AT/MP (accidents du travail/maladies professionnelles) à l’évaluation des risques professionnels, contre 10% pour l’Allemagne. Alors que les « parcours de soin » deviennent de plus en plus des « parcours de vie », difficile de ne pas donner à l’entreprise et aux organisations du travail la place qui leur revient mécaniquement et symboliquement dans la vie des individus.