Le bassin de vie, futur échelon des territoires de santé ?
Les collectivités ont aujourd’hui gagné une légitimité d’acteurs du système de santé que nul ne leur conteste. Reste à définir les périmètres d’organisation et d’action les plus pertinents pour répondre aux besoins du terrain.
Si la gestion de la pandémie a donné lieu à un certain nombre de couacs dans l’articulation entre le niveau national et les échelons locaux de l’action publique, elle a mis en lumière la très forte réactivité des acteurs locaux. Dans les tout premiers instants de la crise, communes, départements, régions se sont mobilisés pour commander des masques et assurer leur acheminement auprès des populations, organiser des logistiques d’assistance d’urgence en lien avec les associations, mobiliser les tissus industriels pour fournir aux hôpitaux et aux entreprises les matériels de protection, créer une coopération inter-collectivités territoriales instinctive, quand la coordination avec l’État et ses services déconcentrés apparaissait parfois plus chaotique. La gestion de cette pandémie inédite a ainsi permis d’expérimenter les capacités d’action et de résilience de notre organisation territoriale, non seulement des collectivités, mais aussi de ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’État territorial ». Une leçon dont les futures réflexions sur la politique et le système de santé devront tenir compte.
La territorialisation de la santé ? On en est encore loin…
La tendance est à l’œuvre depuis plusieurs années : implication des collectivités dans la lutte contre les déserts médicaux, développement des maisons de santé, expérimentation et déploiement de la télémédecine. Peut-on pour autant parler de territorialisation de la santé ? Dans un rapport sénatorial d’information de juillet 2020 sur les collectivités locales face au Covid, Frédéric Pierru, sociologue, chargé de recherche au CNRS, mentionnait une véritable inflation de l’utilisation de la notion de territoire dans les dernières lois : 71 mentions en 87 pages pour la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) de 2009, 106 fois en 111 pages pour la loi Touraine de 2016, 110 en 94 pages pour la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé. Pourtant, force est de constater qu’à l’exception de la loi de 2002 sur les patients, toutes les grandes lois en santé depuis 1995 ont eu comme souci de maintenir tous les pouvoirs de gouvernance à l’État.
Une problématique de périmètre plutôt qu’un sujet administratif
L’échelle géographique adéquate pour un pilotage juste et efficace de la santé reste à définir. Mais elle doit être pensée à partir des besoins de santé. A cet égard, la territorialisation du système de santé renvoie au moins autant à une problématique de périmètre qu’à un sujet proprement administratif. Si les exécutifs régionaux issus de la réforme de 2016 ont pu faire la preuve de leur capacité d’initiative et d’action dans la gestion de la crise, l’échelle régionale ne peut constituer une réponse systématique à tous les enjeux de santé.
La gestion de la pandémie a permis
d’éprouver les capacités de résilience
des territoires.
En organisant des périmètres élargis, n’a-t-on pas aussi créé des concurrences inutiles et contreproductives entre certains centres hospitaliers universitaires (CHU) ? Les blocages des ARS durant la pandémie sont en soi des indicateurs : dans les plus grandes régions, comme Grand Est, qui ne compte pas moins de dix départements, la gouvernance en place est apparue inadaptée face à la pandémie. Pour élaborer des territoires de santé, pourquoi ne pas s’en référer principalement au bassin de vie – le plus petit territoire dans lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants, que l’on peut situer dans une moyenne de 150 000 personnes –, en pondérant les calculs avec une analyse des flux réels hospitaliers et ambulatoires ? On peut ici s’inspirer de modèles étrangers. En Grande-Bretagne par exemple, le pilotage des politiques de santé et de l’offre de soins est géré à l’échelle de périmètres d’environ 60 000 habitants, que ce soit en matière de médecine libérale, d’hôpital, de médico-social ou de prévention. Les structures en place garantissant la représentation des élus locaux, dans un cadre fixé à l’échelon national.
Les maires en première ligne
Le consensus semble aujourd’hui établi autour de la nécessité d’agir en connaissance des réalités singulières des territoires, au plus près possible du « terrain ». Si la santé n’est pas directement de la compétence des maires, les communes se retrouvent en première ligne face aux questions de santé : gestion de l’épidémie, désertification médicale, accès aux soins, la qualité de l’air et de l’environnement, nutrition, etc. Le maire dispose notamment de leviers précieux pour attirer les internes en médecine : en leur finançant une bourse d’études, en échange d’une installation d’au moins cinq ans dans la commune une fois diplômés, en leur versant des indemnités dans le cadre d’un stage chez le médecin généraliste de la ville, ou en mettant à leur disposition des logements. Il peut également financer des aides à l’installation de médecins en exercice ou mettre à leur disposition un logement.La loi « Ma santé 2022 » associe les maires dans la mise en place des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et des hôpitaux de proximité. Le contrat local de santé, signé entre les communes et les ARS, permet aujourd’hui de réunir des acteurs autour d’objectifs communs pour réduire les inégalités territoriales et sociales de santé.
Régions, départements, communes : les collectivités ont gagné une légitimité d’acteurs à part entière du secteur de la santé. Les mois et les années à venir devraient sans aucun doute acter une reconnaissance accrue de leur rôle dans le système de santé, une participation plus importante à la gouvernance du système et des acteurs et une plus forte implication, de droit comme de fait, dans la gestion des crises futures.