La crise sanitaire du Covid a fini de révéler les failles de notre système de santé
La grande fragilité du système de santé français est connue de longue date. La crise que nous continuons de traverser l’a non seulement mise en exergue autant qu’elle l’a accentuée. Il faut maintenant en tirer les leçons.
Le virus SARS-CoV-2 a donné lieu à une crise sanitaire inédite à l’échelle mondiale. Un “fait social total” qui, en plus de sa dimension meurtrière, a mis à l’épreuve tous les modèles et organisations en place, à commencer par les systèmes de santé. En France, la pandémie a frappé de plein fouet un modèle déjà en crise, révélant par un effet grossissant d’importantes failles à tous les étages, politique, organisationnel et fonctionnel du navire.
Affirmer que le système a implosé face à la crise serait très exagéré. Dans les premiers temps de la pandémie, la France, bien que plus exposée que d’autres pays du fait de sa proximité avec une Italie et une Espagne particulièrement touchées, a rapidement fait valoir des résultats tout à fait comparables à ceux de ses principaux voisins. Les premiers cas identifiés dans l’Oise et en Savoie – qui ont rendu populaire le terme de cluster, jusqu’alors apanage des épidémiologistes –, de même que les rapatriements depuis les zones lointaines déjà touchées comme la Chine, ont été correctement pris en charge. Les premiers ratés sont apparus dès lors que, sous l’effet de la rapide progression du virus, il a fallu entrer dans une gestion populationnelle de la crise. Aucun pays n’était prêt face à l’épidémie. Cependant, la déplorable saga des masques, qui aura phagocyté durant des mois le débat public et conditionné la stratégie gouvernementale de la France, restera comme le symbole d’un amateurisme politique et d’une grande impréparation des autorités sanitaires.
Manque de concertation
Face à la crise, la France a renoué avec son atavique frilosité en matière de concertation. Les décisions ont été prises au sein d’un triumvirat exécutif limité au président de la République, au Premier ministre et au ministre de la Santé, conseillés par un groupe d’experts. Exit les parlementaires, les élus locaux, les organisations syndicales ou les associations de patients. Le vote sur la stratégie de déconfinement, sans possibilité d’amendement, fut à ce titre des plus éloquents.
La déplorable saga des masques,
symbole d’une grande impréparation.
La conception à la hussarde de l’application Stop Covid, les contre-indications de l’exécutif sur l’inutilité, puis l’obligation du port du masque ont d’autant plus alimenté la méfiance et les tensions dans la population qu’elles se sont ajoutées à une série de déficiences : pénurie de gel hydro-alcoolique, de tests de dépistage et de médicament, ruptures de stock d’équipement de protection pour les personnels soignants (masques, blouses et gants), manque de bouteilles d’oxygène, de respirateurs dans les services de réanimation, une saturation du Samu. Ce, dans un contexte de sur-sollicitation des personnels hospitaliers. Au-delà d’une gestion de crise longtemps chaotique, l’épidémie de covid-19 a agi comme un révélateur des défaillances d’un système de santé coûteux, centralisé, pétri de rigidités administratives, privilégiant l’hôpital à la médecine de ville, peinant à prendre en charge les plus vulnérables, qu’il s’agisse des plus âgés ou des plus pauvres, laissant se développer les déserts médicaux et les inégalités territoriales, portant une vision focalisée sur le soin et manquant cruellement d’une véritable culture de la prévention.
Consensus politique
Les enseignements tirés de la gestion de cette crise seront-ils susceptibles d’encourager le volontarisme politique dans l’accélération d’une réforme à la fois structurelle et culturelle du système de santé ? Le consensus politique semble avoir acté certaines dérives du système et en appeler à la mise en œuvre d’améliorations substantielles : co-construction entre les professionnels du soin et les patients, territorialisation de l’organisation de soins, renforcement de la prévention, décloisonnement des statuts et des structures, promotion des logiques de parcours de soin et de santé, valorisation des métiers. La crise de la covid-19 aura in fine confirmé que ce ne sont pas seulement notre organisation et notre gouvernance en santé publique qui doivent être interrogées, mais au moins tout autant notre culture commune. Depuis des années, la politique sanitaire de la France a concentré les financements, les efforts et les énergies sur la construction d’un système de soins beaucoup plus que sur une culture partagée de santé publique. C’est un changement de paradigme qu’il convient d’engager d’urgence, pour faire avancer la démocratie sanitaire.