Europe : des systèmes de santé de plus en plus fragilisés
Si l’équation État-régions constitue un curseur de différenciation entre pays européens dans l’organisation de leur santé, tous sont aujourd’hui contraints d’interroger leur modèle économique.
Allemagne : les Länder à la manœuvre
L’une des dimensions fondamentales du système de santé allemand réside dans le partage des pouvoirs de décision entre les Länder (les régions), le gouvernement fédéral et les organisations professionnelles légales. Les autorités compétentes fédérales et régionales délèguent leurs compétences à des institutions de sécurité sociale et à des prestataires de santé. Tous ces acteurs du système de santé allemand sont impliqués dans le financement et la prestation des soins de santé couverts par les régimes légaux d’assurance. Les Länder disposent de leurs propres pouvoirs législatifs et sont responsables de la mise en œuvre des lois fédérales ainsi que de la planification et du financement des soins hospitaliers. Ils assurent, par ailleurs, une supervision technique et hiérarchique du service municipal de santé publique. Ils sont également chargés de superviser les caisses régionales de sécurité sociale, les ordres des professions de santé (ordres des médecins, dentistes, pharmaciens et psychothérapeutes de chaque Land) ainsi que les associations de médecins et de dentistes conventionnés. Cette importante latitude des régions dans la mise en œuvre des mesures adoptées au niveau fédéral contribue à créer des différences territoriales. Mais un réajustement des rapports entre l’échelle fédérale et les Länder ne semble pas pour autant à l’ordre du jour.
Le « modèle suédois » gagné par la montée des inégalités
Comme dans les autres pays nordiques, le système de santé en Suède repose sur une couverture et un accès universels aux soins, un financement essentiellement assuré par l’impôt, une forte prédominance du secteur public – tant en ce qui concerne le financement que la fourniture des soins – et une organisation très décentralisée.
Les délais d’accès aux soins,
un des gros soucis du système
scandinave.
La Suède consacre environ la même part de son PIB que la France à son système de santé. Elle affiche des résultats supérieurs sur certains champs comme la prévention et la prise en charge des personnes âgées. Si les comparaisons internationales continuent de confirmer la position de référence mondiale de la Suède en matière sociale notamment, les inégalités se sont accrues de façon plus importante que dans n’importe quel autre pays de l’OCDE au cours des vingt dernières années. Le système doit faire face à plusieurs obstacles de taille : sa rentabilité, le maintien de la qualité des soins alors que l’État rogne sur les coûts, l’accessibilité aux soins dans un pays très étendu, aux conditions d’accès fluctuantes. Surtout, il connaît un vrai problème de délai d’accès aux soins, un des gros soucis du système scandinave en raison de la pénurie de personnel et des coupes budgétaires, certaines régions de Suède étant devenues de vrais déserts médicaux.
Estonie : le credo numérique
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Estonie est en retard dans de nombreux aspects du système de santé par rapport à ses homologues de l’Union européenne. Le pays consacre deux fois moins d’argent aux soins de santé par habitant que la moyenne des pays de l’Union européenne. L’espérance de vie y est inférieure de 2,5 ans à la moyenne européenne. L’Estonie a récemment approuvé un plan national de santé pour les années 2020 à 2030. Objectif : améliorer l’espérance et la qualité de vie.
Des données de santé
numérisées à 98% en Estonie.
Surtout, la plus septentrionale des républiques baltes a amorcé il y a vingt ans un virage vers le tout numérique et la gestion des données, numérisées à 98%. Pour consulter un praticien à distance, son dossier médical, ou renouveler une ordonnance, il faut passer par un guichet digital unique, le « portail du patient ». L’Estonie a créé à des fins de recherche et de prévention une bio-banque qui comprend déjà plus de 200 000 prélèvements d’ADN de citoyens (sur la base du volontariat), représentant plus de 15% de la population. Dans les heures qui ont suivi la déclaration d’état d’urgence Covid, le ministère des Affaires économiques estonien a lancé un important hackathon, « Hack the crisis », qui a donné lieu à une série d’innovations digitales dans la gestion de la crise.
L’Italie resserre des robinets
Le système de santé italien est bâti sur trois grands principes. L’universalité : les prestations sanitaires sont garanties à tous quelle que soit la situation personnelle, sociale et financière de chacun. L’égalité : tous ont droit aux mêmes services à parité de besoins. La globalité : la référence n’étant pas la maladie, mais l’individu dans sa globalité, le système doit garantir ses interventions à tous les stades, prévention, soin et réhabilitation. En 2000, dans son rapport annuel sur la santé dans le monde, l’OMS plaçait l’Italie à la deuxième place des meilleurs systèmes de santé du monde, derrière la France. La performance du modèle transalpin semble, depuis, avoir marqué le pas, sous l’effet conjugué d’un processus précipité de décentralisation et de coupes claires dans les ressources financières en raison des difficultés économiques que le pays rencontre depuis les années 2008-2010. Au début des années 90, un important processus de décentralisation a fait prévaloir le rôle des régions sur celui de l’État, à qui il ne reste que la tâche de coordonner la stratégie sanitaire, de décider la politique budgétaire nationale, de contrôler le respect des principes fondamentaux des citoyens et d’assurer l’égalité entre eux dans ce domaine. La rapidité de cette décentralisation menée à marche forcée explique, pour nombre d’observateurs, le manque de cohésion de la réponse sanitaire à la pandémie, ainsi que d’importantes disparités territoriales.
Belgique : réorganisation du secteur hospitalier
La Belgique dispose d’un système de santé de qualité et d’un régime de Sécurité sociale parmi les plus généreux d’Europe, dont profitent ses ressortissants comme ses résidents étrangers… Mais depuis 2012, pour compenser d’importants suppléments d’honoraires, le système de protection prévoit que l’affiliation au régime public doit obligatoirement être complété par une assurance complémentaire santé. La Belgique a procédé ces dernières années à une importante réorganisation de son secteur hospitalier, à la faveur de fusions débouchant sur la formation de méga-établissements couvrant plusieurs sites. Les hôpitaux sont classifiés en hôpitaux aigus, hôpitaux spécialisés ou gériatriques et hôpitaux psychiatriques. En décembre 2018, le pays comptait 174 hôpitaux totalisant 288 sites.