D’un système de soins à un système de santé
Face aux défis majeurs des trente prochaines années, le changement de paradigme est un prérequis autant qu’une urgence.
Il était qualifié en 2000 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de meilleur modèle au monde. Aujourd’hui, le système de santé français a perdu de sa superbe. En 2018, l’Indice européen des consommateurs de soins et de santé le plaçait en onzième position, loin derrière les Pays-Bas, la Suisse, la Norvège ou encore l’Islande. Disons-le franchement : notre modèle de santé est bien malade. La crise sanitaire a révélé au grand jour pas mal de ses fragilités. Mais c’est de longue date que ses acteurs et experts multiplient les alertes sur les conséquences imparables de vingt ans de (non-) choix politiques. Pourtant, la France dispose d’une des meilleures ressources humaines en santé au monde. La santé représente en outre une part importante de sa richesse nationale avec 11,3% du PIB vs 9,9% pour l’UE 28 en 2018. Certes, c’est beaucoup moins que les États-Unis qui y consacrent 17,8% du fait du coût exorbitant des prestations et de rémunérations bien plus importantes du corps médical. La France affiche par ailleurs une couverture territoriale de l’offre de soins parmi les meilleures au monde, même si elle s’appauvrit. Enfin, notre modèle de financement, qui rembourse 100% des soins coûteux essentiels, est l’un des plus solidaires qui soient.
Anticiper le vieillissement de la population
Malgré ces atouts bien réels, malgré des progrès technologiques et médicaux inégalés dans l’histoire, le système traverse une crise majeure. Quel échec plus criant que son impuissance à réduire les inégalités sociales de santé qui continuent de se creuser depuis trente ans : treize années d’espérance de vie en moins chez les 5% d’hommes les plus pauvres que chez les 5% les plus riches. Et c’est un défi sans doute encore plus lourd que nous allons devoir affronter dans les années à venir : les effets d’un vieillissement sans précédent de la population entre 2010 à 2030. Les plus de 80 ans, qui représentaient 1,5% des Français en 1960 et 5% en 2010, seront plus de 11% en 2050. Les plus de 60 ans composeront un tiers de la population. Aujourd’hui déjà, la société doit faire face à un allongement de la durée du risque en santé, avec une progression régulière des cinq principales maladies (cancer, diabète, maladies cardio-vasculaires, maladies respiratoires et psychiatriques), qui touchent un assuré social sur cinq. Demain, l’allongement de la durée de vie s’accompagnera d’un accroissement significatif des situations de dépendance.
Un euro investi en prévention
rapporte à terme entre 5 et 10 euros
pour l’économie.
Ces projections sont connues et très bien renseignées depuis des années. Il n’empêche, les réformes successives (loi Hôpital, patients, santé et territoires de 2009, Pacte territoires-santé de 2012, loi de modernisation du système de santé de 2016, Plan territorial d’accès aux soins de 2017) n’ont pas infléchi la fragilisation du système. Et aujourd’hui, c’est la pandémie qui vient saper le lent travail de remise à niveau des comptes de la Sécurité sociale.
La santé comme levier de croissance
Alors, face aux colossaux défis démographiques, épidémiologiques, sociaux et sociétaux qui nous attendent, comment éviter l’implosion du système sans décider d’un véritable changement de paradigme ? La santé a toujours été abordée par les dirigeants politiques dans une logique comptable, comme un poste de coût et une ligne de dépenses. Et si on l’envisageait non comme une charge mais comme une richesse, qui contribue à hauteur de 10% à la création de valeur en France ? La santé représente 2,2 millions d’emplois, non délocalisables pour la plupart, avec une part importante de postes très qualifiés dans le soin, la recherche, le développement clinique et la production industrielle. Dans l’économie de l’innovation qui prédominera demain le rapport de force économique, la health tech, avec son potentiel de chiffre d’affaires de 40 milliards d’euros et de 130 000 emplois d’ici 2030, agira comme l’un des principaux leviers de la croissance. Ce changement de paradigme dans la manière d’envisager la santé est la clé d’une refonte volontariste et consensuelle du système dans toutes ses dimensions organisationnelles et fonctionnelles. Dans un pays qui, en privilégiant la centralité politique de l’hôpital, a polarisé sa politique sur une approche essentiellement “médicale”, il convient de revenir à la définition que donne l’OMS de la santé : « Un état de complet bien-être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
Investir, investir, investir
La santé est un investissement. Un euro investi en prévention rapporte à terme entre 5 et 10 euros pour l’économie. L’une des clés de la réussite renvoie à la capacité des politiques à miser davantage sur la prévention. Dans le cadre de la Stratégie nationale de santé 2018-2022, le gouvernement a débloqué 400 millions d’euros sur cinq ans pour la prévention. Mais celle-ci doit se comprendre dans sa portée la plus élargie : éducation et sensibilisation, promotion des comportements vertueux, responsabilisation des individus, développement et appropriation des parcours de santé pour une prise en charge globale et sans couture des personnes, formation des soignants, juste rémunération des personnels, mobilisation massive pour la recherche et à l’innovation.
Un énorme chantier, dont la bonne marche induit une révision profonde des modèles de gouvernance. Le système de santé en France pâtit de son hyper-centralisation. Il est urgent de revaloriser la place et le rôle des territoires dans le pilotage des politiques et des dispositifs, pour combler le fossé qui s’est creusé entre une organisation trop étatique et les besoins spécifiques et pratiques de la société et des citoyens.
C’est une crise de confiance générale qui s’est installée dans tous les rouages et à tous les étages du système. De l’État envers les professionnels de santé, des usagers envers l’État et envers les soignants. Si l’on veut retrouver la confiance et redonner au système de santé français toutes les chances de renouer avec ce qui fit sa force il n’y pas si longtemps, il faut agir vite et en profondeur.