La sédentarité, bombe à retardement : le cri d’alerte des professionnels de santé
Un adulte sur deux ne pratique aucune activité physique, 4 enfants sur 10 passent plus de 3 heures par jour face à un écran, selon Paris 2024. Une bombe à retardement en matière de santé publique.
Alerte rouge. La sédentarité « ne fait que s’accroître, y compris parmi les jeunes générations », s’inquiète le professeur Jean-François Toussaint, professeur de physiologie à l’Université de Paris. D’après l’Onaps (Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité), un adulte sur trois n’atteint pas les recommandations d’activité physique, et un adolescent sur deux a un niveau d’activité considéré comme faible. Environ 30% des enfants de 6 à 10 ans ne pratiquent pas de jeux de plein air au moins un jour par semaine les jours d’école. Les conséquences de cette diminution d’activité physique sont désastreuses. « En 40 ans, nos collégiens ont perdu 25% de leur capacité physique, évalue François Carré, cardiologue et membre de la Fédération française de cardiologie. C’est-à-dire qu’ils courent moins vite et moins longtemps. » En 1980, un collégien courait le 600 mètres en 3 minutes en moyenne. Aujourd’hui, il lui en faut 4 !
« Remettre les Français en mouvement est plus important que de ramener 80 médailles ! »
« Quand on sait que l’endurance est l’un des meilleurs marqueurs d’une bonne santé cardiovasculaire, il est temps de recommencer à bouger ! Bouger dès l’enfance permet de se constituer un capital santé, qui permettra d’éviter plus tard le surpoids, l’augmentation de la pression artérielle, de la glycémie et du cholestérol», insiste François Carré.
Le CNOSF a publié un guide
des activités physiques adaptées.
En France, moins de la moitié des enfants respectent les 60 minutes d’activité physique quotidienne préconisées par les autorités sanitaires (30 minutes pour les adultes). « Remettre les Français, et nos jeunes, en mouvement, est un besoin bien plus impérieux que de ramener 80 médailles aux JO Paris 2024 (objectif fixé par Emmanuel Macron) », ironise Alain Varray, enseignant-chercheur spécialisé dans la physiologie de l’activité physique adaptée à l’UFR Staps de Montpellier. Ce déclin physique est une vraie bombe à retardement, alors que la France compte déjà 16 millions de malades chroniques, que quasiment un Français sur deux est en situation d’obésité (17% de la population) ou de surpoids (31%) et que, à l’horizon 2040, 25% de la population aura plus de 65 ans. En d’autres termes : dans quel état de santé les Français vont-ils vieillir ? Et quels coûts induits pour les finances publiques ?
Multiplication des écrans, tertiarisation et mécanisation favorisent la sédentarité
Cette crise sanitaire touche toutes les générations. Elle est silencieuse, loin de la médiatisation (compréhensible) du Covid-19. Elle n’en est pas moins redoutable à long terme, « en termes de développement d’obésité, de diabète, de cancer, d’AVC… », avertit Jean-François Toussaint. Les personnes obèses ont d’ailleurs été, avec les personnes âgées, les premières victimes du Covid-19 : « 85% des personnes en réanimation lors de la première vague du printemps 2020 étaient en situation d’obésité. » Comment en est-on arrivé là ? « Le rapport entre les apports énergétiques quotidiens et les dépenses se déséquilibre de façon majeure, sous l’effet de la progression de toutes les situations qui sédentarisent, décrypte Jean-François Toussaint. Ces situations englobent le développement des activités tertiaires, la multiplication des écrans au détriment des mobilités actives, la facilité de transmission des informations par le numérique, la mécanisation de toutes les actions de vie, le transport en étant une. Et, à l’inverse, la disponibilité alimentaire est complète, presque en tous points du territoire, jour et nuit. »
Des actions simples à déployer rapidement pour faire bouger les lignes
L’alerte commence à être entendue. L’Assurance-maladie a diffusé la campagne de communication « Mal de dos : le bon traitement, c’est le mouvement. Il faut continuer de rester actif et de marcher. » En cas de burn-out professionnel, la médecine du travail prescrit de l’activité physique de base (une heure de marche par jour, par exemple). Plus largement, le Comité national olympique et sportif français a publié un guide des activités physiques adaptées par pathologies, à destination des professions médicales. Ce « Vidal du sport » recense les bénéfices santé et les risques pour chaque discipline, les adaptations requises (ballons plus mous et moins rapides pour les patients atteints de cancer par exemple), les volumes d’activité requis… « C’est un document solide, de valeur. Il faut que tous les médecins soient formés à l’utiliser », insiste Alain Varray. Des solutions simples et peu coûteuses peuvent être déployées, comme le design urbain. Impliquant des urbanistes, architectes, ingénieurs en transports et professionnels de la santé publique, ce concept consiste à intégrer l’activité physique dans la vie quotidienne des occupants. « Pourquoi les escaliers, dans les immeubles, sont-ils toujours cachés, au lieu d’être valorisés ? », illustre Joana Ungureanu,consultante sport-santé. « Les parcours piétons en ville doivent apporter assez de sécurité et d’accessibilité pour les mères avec enfants, les femmes seules, les personnes âgées… » Le design actif doit aussi s’inviter dans les cours d’école, « souvent ternes et grises. Il suffit de quelques peintures au sol, de la création de deux ou trois bosses, pour donner envie aux enfants de jouer ! » L’Institut Paris Région a rédigé une expertise, repris par le programme Action cœur de ville. Mais les moyens financiers manquent, selon un connaisseur du sujet : « Le sport-santé, c’est un mi-temps au ministère de la Jeunesse et des Sports. Le sport-santé bougera quand les priorités des budgets ministériels bougeront. »