L’ère des risques systémiques
C’est sans doute le plus grand enjeu auquel l’humanité doit et devra répondre : l’interpénétration des risques climatiques, technologiques, sociaux, politiques. Des effets rebond aux effets papillon : le risque devient la toile de fond de nos sociétés.
Le “monde d’après” ne sera pas seulement un monde post-Covid-19. Certes, la recrudescence des risques sanitaires va occuper une place inédite dans les agendas des pouvoirs publics et des entreprises. Mais nos sociétés, demain, seront marquées par l’émergence de défis pluriels, portés par des phénomènes majeurs et parfois concomitants, avec des effets d’intrication et de rebond de plus en plus avérés.
Nous sommes entrés dans l’ère des risques systémiques. Certes, les avancées réglementaires, techniques et scientifiques gagnées au fil des années (renforcement des normes de sécurité, consolidation du bâti, affinement des prévisions, amélioration des dispositifs de protection et de secours…) ont réduit – du moins sous nos latitudes– la mortalité imputable aux catastrophes. Le système français de prévention des risques, basé sur la répartition des rôles entre acteurs publics et privés, a jusqu’à présent fait preuve d’une bonne stabilité. Mais celle-ci s’explique notamment par la relative modération des aléas climatiques et naturels présents dans le pays. Il faut désormais conjuguer avec le dérèglement climatique, dont les effets (inondations, tempêtes, épisodes de grêle, sécheresses) se font vivement ressentir depuis cinq ans et s’intensifieront dans les années à venir.
Si nos sociétés industrielles sont de mieux en mieux armées pour absorber des méga-chocs ponctuels et même des crises systémiques longues de type Covid-19, les épées de Damoclès pendues au-dessus de nos têtes se multiplient : risques hydro-climatiques liés au réchauffement de la planète, donc, mais aussi risque cyber, accidents technologiques et menace terroriste. Sans parler des risques encore très émergents : pollution aux nano-plastiques, délitement des libertés sur l’autel de l’intelligence artificielle et des nanotechnologies…
Risques de plus en plus intriqués
Mais ce qui caractérise sans doute plus que tout l’évolution des risques majeurs, en France comme ailleurs, c’est l’augmentation des intrications entre risques de différentes natures : risque climatique, risque naturel, risque industriel, risque politique… L’occupation des zones à risques au mépris du danger, la concentration des personnes et des biens dans les villes, l’impréparation des populations et, surtout, la dépendance à des réseaux dont l’interruption a des conséquences en chaîne, expliquent le coût grandissant des catastrophes dans les pays les plus riches, soulevant avec une acuité inédite la question du financement des risques. En France, la branche dite CatNat (pour catastrophes naturelles) est déficitaire pour la cinquième année consécutive avec 2,2 milliards d’euros de prestations versées pour 1,7 milliard d’euros de cotisations collectées.
Dépendance à des réseaux
dont l’interruption
a des conséquences en chaîne.
Le Global Risks Report du Forum de Davos le rappelait dès 2020 : le réchauffement ne signifie pas seulement davantage de tempêtes, d’épisodes de grêle ou de sécheresse. Il est aussi synonyme de chute de la biodiversité, d’écroulement d’écosystèmes entiers – avec des conséquences massives sur l’agriculture –, de problèmes d’accès à l’eau, de recrudescence des épidémies. En juin 2021, un rapport Blanchard-Tirole remis au gouvernement a enfoncé le clou : le changement climatique va générer des coûts économiques considérables, mettre en danger les écosystèmes et la biodiversité, provoquer des troubles sociaux, entraîner des migrations à grande échelle, susciter le ressentiment des pays à revenu faible ou intermédiaire, avec, à la clé, la menace de guerres ou d’autres formes de conflit. L’importance des enjeux appelle une réponse coordonnée, globale, de tous les acteurs économiques, politiques et sociaux. Plus que jamais, la capacité de nos sociétés à faire face à des dégâts matériels et humains de plus en plus lourds est une affaire collective, notamment en matière de prévention des risques et d’accompagnement des victimes.