La carte et le territoire
Si elles peuvent avoir des conséquences bien au-delà de leur zone de survenance, les catastrophes naturelles ou industrielles sont d’abord, le plus souvent, des événements très localisés. Où élus et acteurs de terrain jouent un rôle central.
Relativement épargnée par les catastrophes les plus extrêmes, la France métropolitaine est exposée sur toute sa surface –exception faite des zones à très faible densité de population– par l’émergence d’aléas multiples : inondations, séismes, accidents industriels, attentats. Si ces événements, selon leur nature et leur ampleur, peuvent produire des répercussions dans des périmètres géographiques plus ou moins étendus, ils sont d’abord, pour l’extrême majorité d’entre eux, des faits très localisés. La question du risque renvoie ainsi à toutes les échelles spatiales : une possibilité d’occurrence partout dans le pays, une survenance le plus souvent locale, des effets potentiels diversement étendus. Comment dès lors ne pas considérer que le risque majeur relève, par excellence, d’une problématique de territoire(s) ? Les collectivités ont d’ailleurs toute leur part dans le système de prévention et de gestion des crises.
Face à des risques en mutation,
les frontières de la prévention doivent
pouvoir bouger.
La commune, tout spécialement. Villegailhenc, village de 1 700 âmes, a perdu quatre des siens lors de la crue de l’Aude en octobre 2018. Une terrible épreuve pour le premier édile, Michel Proust, qui a éprouvé la centralité absolue de la figure du maire dans une catastrophe de ce type. «Tout repose sur l’équipe municipale, qui doit faire avec ses moyens pour améliorer sans cesse les dispositifs de prévention et de secours. Nous nous sommes dotés de notre propre système d’alerte par SMS et allons nommer des référents par quartier pour relayer les messages d’alerte auprès des personnes âgées ou non équipées de smartphones. Nous allons en outre réaliser des tests réguliers du plan communal de sauvegarde», explique l’élu. Même sur les risques les plus “nouveaux”, les territoires prennent la main, a minima part au jeu. Première région à avoir rejoint le dispositif cybermalveillance.gouv.fr, les Pays de la Loire ont créé un poste encore aujourd’hui unique de référent cybersécurité, confié à Philippe Loudenot, ancien responsable de la sécurité informatique au sein de plusieurs ministères. «La sécurité informatique, c’est un choix politique avant d’être un choix technique. Et puisqu’il s’agit d’évangéliser et de fédérer les entreprises et les TPE, en partenariat bien sûr avec l’État et ses services déconcentrés, la police, la gendarmerie, l’ANSSI et le tissu associatif, l’échelon territorial est tout à fait pertinent. »
De l’habitation au territoire, en passant par le quartier
En matière de risques majeurs, une lecture territoriale ne se calque pas sur un strict découpage administratif. Elle descend jusqu’à des strates plus minimalistes. Ainsi, les scénarios de prévention, de gestion de crise et de gestion post-crise s’écrivent à la triple échelle du territoire, du quartier et de l’habitation. Un découpage très formel, précisément répertorié, consigné de manière quasi-systématique par des cartes de zonage, allant du plus simple (un fond IGN sur lequel on a colorié à la main les zones exposées), au plus élaboré (numérisation cartographique dynamique). Des cartes qui comportent a minima un certain nombre de données indispensables à la gestion de la crise (zones à risques, enjeux associés, numéros de rues et carroyage des sapeurs-pompiers). Sur chaque territoire, du préfet aux maires, en passant par les intercommunalités et les syndicats, les différents services de secours et d’assistance, les acteurs sont nombreux. Il convient de déterminer précisément leur degré de responsabilité et d’intervention, leurs obligations face aux risques et de définir des modalités de coordination entre les différents documents et cartes de prévention pour chaque action à mener. Face à des risques majeurs de plus en plus complexes et multifactoriels, les frontières de la prévention doivent pouvoir s’adapter, bouger, s’ouvrir. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, après les crues de juin 2010 à Draguignan (Var), un dispositif d’entraide entre les collectivités «gemapiennes» (concernées par la GEMAPI, ou gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations) de la région a été constitué afin d’établir la liste des dégâts observés, le niveau de priorité des interventions et les problématiques d’accès. Autre initiative : la création en 2017 d’une mission interrégionale inondation arc méditerranéen visant à renforcer la cohérence zonale des dispositifs de prévention en misant sur les coopérations interministérielles et locales. Les citoyens, en tant qu’habitants, membres d’une association ou encore en tant que professionnels au sein d’une entreprise, sont de plus en plus considérés comme des acteurs à part entière dans la prévention et la gestion des situations de crise. L’ensemble des leviers doit être étudié au regard du contexte local, de l’histoire du lieu et de sa relation au risque inondation, des populations présentes, de la volonté des élus… Ceci afin de permettre de territorialiser au mieux l’action pour une efficacité renforcée.
Plus de pouvoir d’action pour les territoires et… des moyens adaptés
Donner davantage de pouvoir aux services publics territoriaux suppose aussi qu’on leur confère des moyens de mettre en place et piloter des dispositifs de crise adaptés aux contraintes et aux besoins du terrain. Un rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et de l’Inspection générale de l’administration (IGA) publié presque un an jour pour jour après les graves inondations d’octobre 2018 dans l’Aude, qui ont fait 14 morts, dont 6 dans la commune de Trèbes (voir page 28), pointe à cet égard un notoire manque d’effectifs à l’échelle des territoires : «Il est vraisemblable que les directions départementales des territoires (DDT) ne seront bientôt plus en capacité d’assurer le premier niveau de contrôle des dossiers» du fonds de solidarité en faveur des collectivités territoriales. Globalement, un dispositif de renforts ponctuels en effectifs fait défaut. (…). Donner les moyens d’agir à ceux qui connaissent le mieux la réalité tangible du risque. « Les élus locaux sont les mieux placés pour comprendre et agir auprès de leurs administrés en prenant les initiatives adaptées au réel et au vécu des gens», insiste Alban Bruneau, président de l’Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologies majeurs (Amaris) et maire de Gonfreville-l’Orcher, qui compte sur son territoire huit sites classés Seveso. Le 15 décembre 2020, dans le cadre du plan de prévention des risques technologiques (PPRT), le conseil communal de la commune de Seine-Maritime a voté la mise en place de prêts relais à taux zéro. « Il s’agit d’éviter que les familles n’aient à avancer une partie de la facture en attendant un remboursement tardif via un crédit d’impôt alloué par l’État. Cette initiative va vite trouver écho dans d’autres communes, parce qu’elle répond à des besoins concrets », avance le maire.