« Les violences numériques tuent, et ça, je l’ai dit avant Samuel Paty »
On entend parfois dire que l’assassinat de Samuel Paty aurait pu être évité si une loi avait existé…
Est-ce que ma proposition de loi (ndlr : Le texte est adopté par l’Assemblée le 13 mai 2020, mais censuré le mois suivant par le Conseil constitutionnel) aurait empêché l’assassinat de Samuel Paty ? C’est une question très difficile… Ce que je constate, c’est que dans ce drame, les réseaux sociaux sont partout. C’est sur les réseaux sociaux qu’est lancée cette fatwa numérique, sur les réseaux sociaux qu’est revendiqué cet assassinat terroriste, sur les réseaux sociaux qu’ont circulé pendant des semaines l’image immonde de cette tête décapitée. Et une chose est claire : si cette proposition de loi avait été mise en œuvre par les plateformes, si elles avaient fait le job, elles auraient eu ce devoir de vigilance, de diligence, de mettre le nez sur ce qui se passait et ne pas tourner le regard comme elles le font aujourd’hui.
Les plateformes répondent… « On fait ce qu’on peut ! »
Ce n’est pas vrai. Et moi je refuse de les entendre dire cela, on a l’impression d’être retourné 20 ans en arrière avec de jeunes startuppers qui se seraient lancés avec quelques petits outils et seraient un peu dépassés. Non, on parle de géants du numérique, des sociétés les plus puissantes de notre économie mondiale, et aujourd’hui le job n’est pas fait. Or elles ont les capacités de le faire. A cet égard, la crise sanitaire est révélatrice !
Nous avons fait
un chapitre entier
sur la haine en ligne.
On voit ce que les plateformes peuvent faire en matière de modération, en matière de contrebalancement des discours, par exemple en agissant sur les algorithmes de recommandation pour que les personnes qui lisent des contenus anti-vax n’entrent pas dans des bulles algorithmiques qui feraient qu’ensuite elles ne voient que des contenus anti-vax. Les plateformes corrigent les algorithmes, elles en ont la possibilité ! Même si je suis suffisamment réaliste et pragmatique pour ne pas demander une modération 100% algorithmique, ce n’est pas possible vu les échelles de ces plateformes.
Il y a urgence, or votre première loi avait été censurée. Quel est votre état d’esprit ?
Ne jamais baisser les bras ! Tout simplement parce que les violences numériques tuent et cela, je l’ai dit avant Samuel Paty. Ce sont des moments où l’on aimerait que les faits nous donnent tort. J’ai donc redéposé un texte au sein du projet de loi renforçant les principes républicains. Nous avons fait un chapitre entier sur la haine en ligne qui comporte des dispositions de sanctions notamment vis-à-vis de la pratique du doxing, qui vise à mettre une cible numérique dans le dos de quelqu’un, nous avons aussi insisté sur la modération, mais aussi la prévention avec par exemple l’instauration d’un carnet internet obligatoire au collège et à l’école primaire. Tout cela a été validé par le Conseil constitutionnel le 18 août dernier et la loi promulguée le 25 août. C’est assez enthousiasmant car nous avons désormais des obligations légales en France pour que les plateformes fassent leur job même si ce n’est pas l’alpha et l’oméga. Et à cet égard, nous travaillons aussi à l’échelle européenne avec le Digital Services Act (Voir encadré ci-contre).