Les réseaux sociaux, du Far West… à la nécessaire régulation
De Gutenberg à Zuckerberg, plus de 5 siècles nous contemplent ! Les réseaux sociaux, eux, n’ont que 20 ans, et pas encore la même sagesse. Beaucoup reste à faire pour réguler ces plateformes qui ont tout bouleversé dans nos vies.
Il y a du bon et même du très bon sur les réseaux sociaux. Il y a des amis qui permettent de rompre la solitude, de la connaissance échangée, de la convivialité, de l’information, sérieuse ou plus futile, de l’émotion, du « vivre ensemble » et de l’attention. Il y a du partage et des échanges de contenus, nombreux, avec des acteurs locaux, des institutions, des services que l’on n’approcherait pas si directement sans ces réseaux sociaux. Parfois même, cela autorise cette « démocratie directe » que les méga-structures ne permettent plus. Et puis il y a de très belles histoires, d’ici ou du bout du monde, de l’entraide, de la prise de conscience, mille possibilités de rencontrer de nouveaux amis suggérés sur Facebook, découvrir des lieux magiques sur Instagram, participer au débat sur Twitter, trouver un job sur Linkedlin, s’amuser sur TikTok, sourire sur Snap… Le paradis de tous les possibles et de l’instantané !
Les algorithmes
nous confortent
dans une bulle
cognitive.
Du très bon donc, mais aussi du terrifiant. La nuance est rarement virale, ce n’est pas ce que l’on partage le plus sur les réseaux sociaux. Dans cet univers, les avis sont tranchés net, on vote pour ou contre, on envisage la vie en noir ou blanc, on « like » ou on condamne, on ne débat pas, on se « clashe », on n’argumente pas, on va vite, et les outils sont conçus dans ce sens, qu’il s’agisse de quelques mots à peine pour s’exprimer sur Twitter, quelques secondes pour montrer une image sur Instagram ou quelques hashtags pour convaincre des amis sur Facebook. Les réseaux sociaux peuvent aussi être de terribles vecteurs de haine, de violence et de fake news. Et gare à ceux qui s’y plongent des heures durant, les algorithmes deviendront vite leurs pires ennemis (invisibles), qui les confortent dans une bulle cognitive dont on ne sort plus et qui vous rend accro. La régulation est là pour freiner ce monstre aux allures de meilleur ami qui se dissimule sous de sympathiques icones figurant souvent sur le premier écran de lecture des utilisateurs de smartphones, de 7 à 97 ans. En France, 40 millions de personnes ont un compte Facebook, 23 millions sont abonnés à Instagram et autant à Snapchat. Les géants du Web sont devenus en quelques années les vrais maîtres du monde, leurs chiffres d’affaires ont des croissances à deux chiffres, Facebook a généré 86 milliards d’euros de CA en 2020, loin devant des entreprises comme Boeing, Coca-Cola ou Nike.
Le même Facebook dont l’un des cofondateurs, Chris Hughes, assurait dans une tribune publiée par le New York Times en mai 2019 que le réseau social était devenu un danger pour la démocratie. Pire, dans ce véritable réquisitoire, Hughes s’avouait « déçu que les équipes de Facebook et lui-même n’aient pas réfléchi plus tôt à cette manière dont les algorithmes influencent l’actualité, notre culture et même les élections. Mark Zuckerberg (fondateur de FB) peut décider tout seul ce que les gens voient sur leur fil d’actualité ». Dans son sillage, de nombreuses voix ont démontré la position pour le moins dominante de certains réseaux sociaux, Facebook en tête, et sa « réelle ou supposée » influence dans les affaires du monde, politiques ou financières, diplomatiques ou culturelles. Les multiplications de ces « fermes à trolls », véritables usines à produire des fake news en ligne ou le tsunami provoqué par le scandale du Cambridge Analytica ayant largement dégradé la confiance que l’on pouvait avoir dans les réseaux sociaux.
Les enjeux sont importants, et depuis quelques années désormais, des premières mesures de régulation voient le jour dans différents pays. Des lois pour surveiller les contenus, des collectifs citoyens pour dénoncer les abus ou les propos haineux – une forme d’auto-régulation – , des technologies pour mieux contrôler les opérateurs, des obligations de modération faites aux plateformes, l’embauche de milliers de femmes et d’hommes pour traquer les messages postés sur les comptes abonnés, un « conseil de surveillance » indépendant chez Facebook chargé de trancher les litiges, une règlementation européenne (Digital Services Act) pour harmoniser l’encadrement des opérateurs, des autorités judiciaires, un « parquet numérique » en France pour instruire les affaires relevant des réseaux sociaux… Le champ de la régulation est encore vaste. Chaque jour nous montre qu’il est terriblement nécessaire pour que les réseaux sociaux ne se conjuguent qu’au plaisir du partage et jamais avec la haine et les excès observés encore trop souvent.