Pourquoi les déchets sont les ressources de l’avenir
La production de déchets explose dans le monde, avec des conséquences sur l’environnement et la santé. Or ces déchets représentent des gisements de richesses à exploiter, comme la France et l’Union européenne semblent l’avoir enfin compris.
Dans le film d’animation Wall-E, sorti en 2008, un petit robot se promène sur une Terre ensevelie sous les déchets. Ce film serait-il prémonitoire ? Un rapport de la Banque mondiale publié en 2018 prévoit une augmentation de 70% de la production mondiale de déchets au cours des trente prochaines années, de 2 milliards de tonnes en 2016 à 3,4 en 2050, si notre façon de consommer ne change pas. Les Français, eux, en ont produit 326 millions de tonnes en 2017, soit 4,9 tonnes par habitant, indiquent les derniers chiffres de l’Agence de la transition écologique (Ademe).
Une tonne de téléphones contient 80 fois plus d’or qu’une tonne de minerai.
Les conséquences de cette explosion sont de mieux en mieux documentées : pollution des milieux, émissions de gaz à effet de serre, épidémies, épuisement des ressources naturelles. Aucune région de la planète n’est épargnée, car les déchets font l’objet de trafics entre les continents. L’Europe a longtemps exporté ses déchets plastiques, jusqu’à 300 000 tonnes par mois en 2015 et 2016, et ses déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) vers les pays du Sud, en contravention avec la Convention de Bâle qui réglemente l’exportation de déchets dangereux. Les mouvements se font dans les deux sens : 15% des vêtements recyclés dans le monde le sont à Prato, en Toscane.
Ces trafics n’ont rien de surprenant : les déchets sont devenus des gisements de matières premières. Ceux des ménages français, par exemple, contiennent du verre, du papier et du carton, du plastique, des textiles et des métaux stratégiques : cuivre, or, fer, aluminium et surtout terres rares, ces éléments indispensables au développement de l’économie numérique.
La valeur des matières premières contenues dans les DEEE dépasserait les 55 milliards d’euros, selon un rapport des Nations unies de 2017. Une tonne de téléphones portables contiendrait 80 fois plus d’or qu’une tonne de minerai.
Traiter les déchets comme des ressources pour réduire la dépendance à la Chine
Cette négligence pourrait finir par coûter cher. Dans un discours visionnaire de 1992, Deng Xiaoping, chef du gouvernement chinois de 1978 à 1992, avait déclaré : « Le Moyen-Orient a le pétrole, la Chine a les terres rares. » Depuis cette date, la Chine a fait des métaux rares l’un des instruments de sa politique étrangère, en s’arrogeant un quasi-monopole sur leur production. Elle est aussi une destination privilégiée des DEEE, dont elle recycle les composants dans des conditions souvent désastreuses pour l’environnement. Cette domination de la Chine signe une véritable abdication de la « souveraineté minérale » des pays occidentaux, selon les mots du journaliste Guillaume Pitron, auteur de La guerre des métaux rares (Les Liens qui libèrent, 2018).
L’Europe a pris conscience de sa vulnérabilité vis-à-vis des matières premières chinoises, et plus généralement de toutes les ressources naturelles, tout au long de la dernière décennie. Dès juillet 2010, l’Union européenne dressait une liste de 14 métaux qualifiés de stratégiques pour l’économie du continent dans son rapport « Critical raw materials for the EU ». Depuis, les principes de l’économie circulaire, qui consiste à produire des biens et services en limitant au maximum la consommation de ressources naturelles, ont peu à peu gagné les esprits. Ils sont au cœur du plan d’action de la Commission européenne lancé le 11 mars 2020, pour relocaliser le traitement des déchets grâce au réemploi, à la réutilisation et au recyclage, avec à la clé une croissance supplémentaire de 0,5% et la création de 700 000 emplois d’ici 2030. Ils ont aussi inspiré la loi anti-gaspillage pour l’économie circulaire (AGEC), entrée en vigueur le 10 février 2020, et qui veut transformer les modes de production et de consommation. Le tsunami de déchets qui menace d’ensevelir la Terre peut donc encore être contenu. Le destin de Wall-E n’est pas inéluctable.