Il faut repenser le déchet comme une source de matière première
Les perspectives de la valorisation des déchets sont prometteuses, à condition de mettre en œuvre des filières de traitement adaptées aux différents flux de déchets.
En moins d’un demi-siècle, les quantités de matières premières extraites dans le monde ont plus que quadruplé, passant de 22 milliards de tonnes en 1970 à 97 milliards en 2018. Et ce n’est pas fini : d’après un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) publié en 2016, la demande mondiale devrait encore doubler d’ici 2050, pour atteindre 180 milliards de tonnes par an. La quantité de métaux va exploser de 7 à 19 milliards de tonnes, mais les matériaux de construction pèseront plus lourd : 82 milliards de tonnes contre 32 aujourd’hui. Des chiffres qui donnent le tournis : la Terre sera-t-elle capable de fournir autant de matières premières ? Et si oui, à quel prix pour l’environnement ? Cette consommation pourrait entraîner « l’acidification et l’eutrophisation des sols et des nappes d’eau, l’augmentation de l’érosion des sols et la surproduction de déchets et de pollution. L’utilisation intensive des carburants fossiles, des métaux et d’autres matériaux contribuera à l’intensification du changement climatique, à l’augmentation de la pollution, à l’érosion de la biodiversité et mènera finalement à l’épuisement des ressources naturelles, avec des risques de conflits locaux », note sobrement le rapport.
Les matières premières « vierges » restent plus rentables que les recyclées
La situation de certaines matières premières pourrait bien devenir critique, comme celle du cuivre, décortiquée dans une étude de l’Institut Fraunhofer parue en novembre 2020. Depuis ses origines, l’humanité a extrait 650 millions de tonnes de cuivre, et devrait en consommer autant dans les vingt-cinq prochaines années. Or les réserves exploitables sont estimées à 700 millions de tonnes, et seront épuisées en 2045 si l’extraction se poursuit au même rythme qu’aujourd’hui. Les gisements les plus faciles à exploiter ont été vidés, et s’il en reste d’autres, ils seront plus difficiles d’accès et leur exploitation exigera des quantités d’énergie considérables. Sur les 650 millions de tonnes de cuivre déjà extraites, 350 millions sont utilisées, 100 millions abandonnées dans des bassins de décantation, et 140 millions enfouies dans des décharges. Le reste s’est dissipé dans des usages non récupérables. Pour l’instant, seule une petite quantité du cuivre déjà présent dans le cycle du métal est recyclé. La récupération de celui des bassins de décantation et des décharges est encore loin d’être rentable : le cours du cuivre « recyclé » demeure supérieur à celui du « vierge ». Il n’empêche : ce « stock anthropique » de cuivre peut être considéré comme une réserve de matières premières. Ce scénario s’applique à d’autres métaux : « Le recyclage, qui représente aujourd’hui un dixième du poids du secteur minier dans le PIB, pourrait assurer en 2040 10% des besoins en cuivre, lithium et nickel », selon un rapport de l’OCDE paru en 2018 sur l’état des ressources naturelles.
Mutualiser la gestion de fin de vie
des déchets est plus efficace.
Repenser le déchet comme une source de matière première est au cœur de l’économie circulaire. « La circularité est constitutive d’une plus grande résilience face aux chocs, elle doit s’imposer comme boussole pour la réindustrialisation », lit-on dans l’étude « Pivoter vers une industrie circulaire » parue en avril 2021 et réalisée par le cabinet OPEO et l’Institut de l’économie circulaire. Selon la Fondation Ellen McArthur, l’adoption de modèles circulaires permettrait d’économiser près de 700 milliards de dollars de matières premières. Au-delà du recyclage, l’économie circulaire comprend de multiples moyens d’agir, comme la réparation, l’écoconception, les achats responsables, la consommation collaborative, la location, l’échange, le don, la sobriété… Tous sont encouragés par les lois sur la croissance verte en 2015 et sur l’économie circulaire en 2020.
Une valorisation réussie des déchets repose sur une collecte abondante et un tri précis
Le succès de l’économie circulaire repose aussi sur une bonne structuration des filières de traitement. En France, les filières de « responsabilité élargie du producteur » (REP) sont placées sous la supervision des éco-organismes auxquels les producteurs ont délégué la responsabilité de gérer la fin de vie de leurs produits. Cette mutualisation est une garantie d’efficacité, même si elle présente le risque de déresponsabiliser les producteurs dans la conception de produits respectueux de l’environnement. La valorisation des déchets est d’autant plus réussie que la collecte est abondante et le tri précis, mais aussi que le produit est conçu de façon écologique en amont. En 2017, par exemple, la sortie de bouteilles en plastique PET opaque a perturbé la filière des bouteilles en plastique, pensée pour le PET transparent. Les acteurs de cette filière se sont réunis pour mettre au point une solution : un circuit fermé de recyclage du PET opaque.
Enfin, plusieurs startups ont imaginé des solutions pour hâter le développement de processus industriels plus circulaires. Trinov aide les industriels à dresser un état des lieux complet de leur production de déchets pour mettre en place une procédure de tri. iNex Circular cartographie 800 000 gisements de déchets sur tout le territoire pour identifier le type et la qualité de déchets susceptibles de produire du biogaz. Harold Waste a développé un outil de trading pour rentabiliser la valorisation financière des déchets en affichant le cours de chaque matière et son prix de revente. Le déchet est moins que jamais une matière sans valeur et inutile, juste bonne à jeter.