Le risque d’une nouvelle fracture sociale ?
Entre les métiers réalisables à distance et ceux qui ne le sont pas, le télétravail ne crée-t-il pas de nouvelles exclusions ? Pas si l’on raisonne en termes d’activité.
Il n’aura fallu que le temps d’un premier confinement pour mettre en lumière ce qui, jusqu’alors, restait très éloigné des consciences et du débat public : le potentiel inégalitaire du télétravail. Transférer son « bureau » dans 20 m2 ou dans 12 m2, dans un appartement principal ou dans une résidence secondaire, disposer ou pas d’un équipement adéquat à domicile, avoir des enfants ou pas… Autant de lignes de partage entre un télétravail acceptable, voire appréciable, et un autre plus éprouvant, voire douloureux.
62% des métiers éligibles au télétravail.
Mais le télétravail pourrait également induire un autre séparatisme, entre les métiers réalisables à distance et ceux qui ne le sont pas. D’un côté les actifs éligibles à des aménagements dans l’organisation de leur emploi du temps, de l’autre ceux qui seraient privés d’une telle opportunité. Comble de l’inégalité, la scission s’opérerait sur des marqueurs clairement sociaux. D’un côté les métiers intellectuels et de direction, de l’autre les métiers opérationnels et de production. Le télétravail serait-il porteur d’une nouvelle fracture sociale ?
8 millions d’emplois compatibles
Pour établir une cartographie du télétravail, la plupart des observateurs préfèrent raisonner en termes d’activités que de métiers proprement dits, arguant que même dans le cadre de fonctions a priori qualifiées de non-télétravaillables, certaines tâches peuvent se réaliser à distance : renseigner le public, réaliser des enquêtes, faire du dépannage informatique, de la gestion de projet, des achats, réaliser des supports de communication, traiter des dossiers en retard, développer des projets, etc. Selon le ministère du Travail, près de 8 millions d’emplois sont ainsi compatibles avec le télétravail, soit plus de quatre sur dix.
Un métier compte en moyenne 20 compétences
Une étude menée en mai 2020 par Boostrs, start-up spécialisée dans la cartographie de compétences, va plus loin dans la comptabilité du télétravail. La clé d’entrée méthodologique retenue repose sur un constat binaire : soit une compétence peut être exercée à distance, soit elle ne le peut pas. Partant du postulat qu’un métier compte en moyenne une vingtaine de compétences, la startup estime qu’un métier dont moins de 20% des compétences peuvent être exercées à distance n’est pas télétravaillable. Au-delà de ce ratio de 20%, le métier devient « télétravaillable ». Entre 20 et 80%, il est partiellement télétravaillable, et au-dessus de 80%, il est totalement réalisable à distance. A travers ce filtre, non seulement 62% des métiers deviennent éligibles au télétravail, au moins partiellement, mais le risque d’une fracture sociale indexée sur la possibilité ou non du télétravail devient aussi beaucoup plus hypothétique. Aux pouvoirs publics, aux entreprises et aux partenaires sociaux de définir les instruments managériaux qui l’éteindront totalement.
Des métiers et activités incompatibles avec le télétravail
Les métiers et activités non télétravaillables renvoient à la nécessité d’interventions sur des lieux spécifiques, pour installer, réparer, inspecter, nettoyer, s’occuper de personnes ou d’animaux : agent d’entretien, jardinier, plombier, opérateur de machines pour produits en béton, pompier, manutentionnaire, boulanger, cuisinier…