Fatigue, anxiété, détresse : la face sombre du télétravail
Isolement, sédentarité, mauvaises postures : pour beaucoup d’actifs, le télétravail s’est soldé par une dégradation de la santé physique et mentale.
Les salariés y ont goûté, et dans l’ensemble, ils l’apprécient. Mais le télétravail a néanmoins révélé son pouvoir de nuisance, notamment sur la santé de personnes mal préparées à basculer à marche forcée d’une organisation très « présentéiste » à un 100% travail à distance. Le premier confinement a fait l’objet de nombreuses études sanitaires, qui convergent vers le même constat : en seulement trois mois, la santé des Français en a pris un sacré coup. Santé publique France (SPF) parle d’une « dégradation des comportements d’activité physique et de sédentarité », estimant que près de la moitié des personnes (48,8% des hommes et 52,8% des femmes) sont restées sur la période en-deçà des recommandations d’au moins 30 minutes d’activité physique par jour.
Et que dire des pratiques addictives ? Selon GAE conseil, cabinet de conseil spécialisé en prévention des addictions en entreprise, 41% des salariés font effectivement état de pratiques addictives plus fréquentes en télétravail, soit dix points de plus que sur le lieu de travail habituel. En tête de liste, les risques liés à l’hyperconnexion selon huit répondants sur dix, devant la consommation de tabac (75%), d’alcool (66%), de cannabis (55%), de médicaments (52%) et d’autres drogues (51%). Fait nouveau, le « workaholisme » (addiction au travail) est aussi en hausse pour 61% des télétravailleurs.
Les effets pervers de la visioconférence
« Le phénomène de dégradation de la santé des télétravailleurs tient entre autres à un facteur inédit : l’explosion fulgurante de la visio-conférence, dont on mesure aujourd’hui les dégâts en termes de fatigue physique et mentale », note Pascal Airey, chargé de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Dans un échange présentiel, les signes non verbaux (posture, gestuelle, hochements de tête) facilitent pour beaucoup la fluidité de la communication et la compréhension des messages. Lors d’une réunion à distance, la difficulté de capter ces signaux se solde par un surinvestissement de l’attention porté vers d’autres indicateurs, comme le ton de la voix ou les expressions du visage. Elle paralyse en outre l’envie d’interagir.
« Évitements » cérébraux
Les écrans perturbent la synchronicité dans l’échange des regards. Nous l’avons tous éprouvé : pour donner l’impression à quelqu’un de le regarder dans les yeux, nous devons fixer la caméra, donc extraire notre interlocuteur de notre champ de vision et nous priver d’observer la manière dont il réagit à nos propos.
La visio-conférence entraîne un surinvestissement d’attention.
Résultat : en visioconférence, chaque participant a donc tendance à maintenir le regard sur l’écran et personne ne se regarde dans les yeux. Moins anecdotique qu’il n’y paraît, ces croisements de regard sont interprétés par le cerveau comme « des évitements ». Enfin, la visioconférence malmène le regard que l’on porte sur soi-même. Se voir à l’écran pendant une discussion augmente l’anxiété quant à la posture à adopter. Or, notre système attentionnel ne sait pas traiter plusieurs informations de front. La multiplication des allers-retours entre son propre visage et ceux de ses interlocuteurs préempte une bonne partie de notre énergie, déjà diminuée par les autres efforts de concentration.
Les impacts psychiques de cette première année de télétravail sont encore assez mal mesurés. Mais ils pourraient essaimer de manière différée, avec des phénomènes de décompensation. Les mesures mises en œuvre contre le virus ont jusqu’alors été focalisées sur le traitement somatique. Le retour de bâton psychique pourrait être violent.
Les pathologies du télétravail
Anxiété : elle est principalement liée à la crainte d’être moins performant en travaillant chez soi, de ne pas répondre aux attentes de ses collègues ou de sa hiérarchie, de ne pas parvenir à concilier les temps professionnel et personnel. Un stress accru par les outils numériques : il faut se connecter à l’heure aux visio-conférences, rester présentable, écarter les bruits parasites, etc.
Déprime : la prise de distance avec les collègues peut rapidement générer un sentiment d’abandon, alimenté par un usage encore mal maîtrisé des outils numériques : un collègue qui oublie de prendre des nouvelles, ou un manager qui omet de mentionner le salarié dans un message groupé.
Troubles du sommeil : la fusion en un même lieu des activités domestiques et de travail se traduit par un dé-séquençage du temps. Le salarié ne dissocie plus les différentes étapes qui structurent généralement une journée. Cette perturbation de la chronicité constitue un vecteur de perturbation du sommeil (a fortiori si le salarié est en situation de stress).
Troubles alimentaires : moins d’exercices physiques, une sédentarité sensiblement accrue, la tentation du grignotage renforcée par les écrans et par l’absence de « témoins », de repas moins équilibrés : le télétravail favorise la prise de poids.
Troubles musculo-squelettiques (TMS) : à la maison, les mauvaises postures devant l’écran sont principalement amplifiées par l’absence d’un regard social et par un mobilier (chaise, table) peu ergonomique. Résultat : le dos et les membres supérieurs souffrent.