La lutte sans fin contre les stupéfiants
Depuis 50 ans, les politiques essentiellement punitives se sont amplifiées, sans résultat probant. Une approche plus préventive réussira-t-elle à s’imposer ?
« [ La lutte contre les stupéfiants] doit être l’alpha et l’oméga de toutes nos interventions », déclarait le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, le 7 septembre 2020, dans un entretien au Parisien présentant les chantiers du gouvernement en matière de sécurité. Depuis son arrivée place Beauvau, il affiche sa détermination contre le trafic et la consommation de stupéfiants. Plateforme de signalement des points de deal, lutte contre la massification des trafics de drogue, instauration de l’amende forfaitaire de 200 € pour les consommateurs de cannabis, le ministère fait feu de tout bois.
Une logique punitive
Une démarche toutefois qui opte davantage pour la répression que pour la prévention. « En France, comme en Europe, après une période dans les années 1990 où les politiques publiques étaient résolument orientées vers la santé publique et l’accompagnement du consommateur, les gouvernements ont opéré un retour à une approche réduisant la consommation de stupéfiants à des nuisances publiques », constate Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université Paul Valéry Montpellier 3 : « Le plan national de lutte contre les stupéfiants présenté en septembre 2019 s’inscrit dans cette logique ultra-répressive. »
Les élus doivent se poser la question de l’évaluation des politiques publiques.
Une analyse critique que faisait déjà en 2009 Nicole Maestracci, ancienne directrice de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), dans la revue Archives de politique criminelle : « Peu de pays, même en Europe, ont mis en place des politiques de prévention installées dans la durée. Il faut reconnaître que c’est un exercice difficile et moins visible que le vote d’une nouvelle loi. »
Pour une politique de réduction des risques
Comme le souligne Yann Bisiou, « en France, depuis la loi de 1970, le cadre légal de la prohibition absolue n’a pas varié. En revanche près d’une centaine de textes législatifs ont été votés sur le sujet pendant ces 50 dernières années, soit en moyenne un tous les sept mois ». Avec – spécificité française – le cannabis érigé en priorité. Ce stupéfiant est en effet la cause à lui seul d’environ 90 % des interpellations. Pourtant, les problèmes vont croissant : les trafics s’adaptent, les volumes augmentent, les prix sont bas et la disponibilité n’a jamais été aussi grande. « Il est étonnant de voir les élus persister ainsi dans une voie de surenchère législative et de sur-répression sans se poser la question de l’évaluation des politiques publiques menées depuis toutes ces années. »
En l’espèce, l’amende de 200 € instaurée en septembre 2020 est, selon le chercheur de Montpellier, « la fausse bonne idée par excellence. Cela ne fait que stigmatiser certaines populations représentant une infime partie des consommateurs ». D’après lui, la solution est plutôt à chercher du côté de la mise en vente de cannabis contrôlée par l’État et surtout d’une politique de réduction des risques. « Le cannabis light ou CBD, usage examiné par l’actuelle mission d’information parlementaire sur le cannabis, peut être une opportunité à saisir pour réguler la consommation », estime Yann Bisiou qui défend les modèles portugais, canadien ou suisse qui « mettent à disposition un produit normalisé et traçable permettant de casser en partie le trafic tout en faisant passer un discours de santé publique ».