L’épineuse question des chiffres de la délinquance
La mesure chiffrée de la délinquance en France est régulièrement l’otage d’un débat politique qui nuit souvent à sa bonne interprétation.
« Si la France est malade, il faut prendre sa température. Et je ne connais pas d’autres moyens que de la prendre en rendant publics les chiffres. » Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, justifiait ainsi sa décision de renouer avec une communication mensuelle des résultats en matière de lutte contre la délinquance qu’il a inaugurée le 13 octobre 2020 (lire l’encadré). Les chiffres de la délinquance sont un enjeu récurrent du débat public, particulièrement en période électorale. Or leur interprétation reste un exercice délicat, car ils traduisent avant tout l’évolution de l’activité de la police et de la gendarmerie. Les priorités et les moyens donnés à l’action de la police et de la justice ont un impact direct sur l’application de la loi.
Leur interprétation reste un exercice délicat.
« La délinquance est définie par le droit (…). Mais la loi pénale n’est pas stable, elle ne cesse d’être modifiée par le législateur (…). Lorsque des comportements sociaux anciens sont soudainement ou progressivement criminalisés, la délinquance ne peut par définition qu’augmenter », soulignait Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS, dans un article paru le 27 février 2020 sur le site The Conversation. De même, les chiffres en forte hausse enregistrés depuis 2017 en matière de violences sexuelles s’expliqueraient notamment par la libération de la parole sous l’effet du mouvement #MeToo. L’augmentation également significative en 2019 des chiffres relatifs aux coups et blessures volontaires, qui résulte notamment de l’augmentation des violences intrafamiliales recensées, peut être en partie imputée à « un effet positif du Grenelle des violences conjugales [qui] a pu inciter les victimes à davantage déposer plainte », notait l’étude du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) publiée le 16 janvier 2020. « Les chiffres les plus intéressants ne sont pas uniquement ceux de la délinquance enregistrée par la police et la gendarmerie. D’où l’intérêt de l’enquête de victimation menée par l’Insee, qui porte sur 17 000 personnes questionnées chaque année sur les faits de délinquance et leur ressenti », remarque Jacques de Maillard, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip) dans un entretien à Médiapart (septembre 2020). Des chiffres qui sont jugés moins « manipulables » car l’enquête de victimation Cadre de vie et sécurité* porte sur les atteintes aux biens des ménages, que ces infractions aient donné lieu ou non à une déclaration dans les services de police ou de gendarmerie. Ces statistiques complètent donc celles de la délinquance enregistrée. Elles permettent notamment de mieux comprendre d’une part pourquoi certains s’abstiennent de déclarer un incident et d’autre part quelle suite a été donnée à ceux qui l’ont déclaré.
* En 2022, l’INSEE ne réalisera plus l’enquête « Cadre de vie et sécurité » (CVS) sous sa forme actuelle. Mais le ministère de l’Intérieur s’est engagé à mettre en œuvre des moyens financiers et humains pour garantir la pérennité d’un dispositif annuel d’enquête statistique de victimation.
Le « nouveau » point mensuel du ministère
Le 13 octobre 2020, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et la ministre déléguée à la Citoyenneté Marlène Schiappa ont renoué avec la pratique largement utilisée vingt ans plus tôt par Nicolas Sarkozy, alors locataire de la place Beauvau : le point-presse mensuel sur les chiffres de la délinquance. « C’est une bonne chose, à la condition que ces chiffres soient pris pour ce qu’ils sont, contextualisés, inscrits dans le temps et non exploités à des fins politiques et utilisés [afin] d’établir une corrélation trop rapide entre la hausse de la délinquance et l’inefficacité des forces de police », prévient Jacques de Maillard.