Citoyens et forces de l’ordre : une relation questionnée
Sur-sollicitées ces dernières années et également confrontées à une détérioration de leur image, les forces de l’ordre ressentent un malaise grandissant devant les critiques qui leur sont adressées comme la nécessité de faire évoluer la nature du service rendu.
En novembre 2020, le gouvernement présentait le Livre blanc de la sécurité intérieure. Issu d’une large concertation auprès d’experts de la sécurité, d’élus, de préfets, d’agents de terrain, de chercheurs et universitaires et de citoyens, ce document émet près de 200 propositions. Les premières portent notamment sur la nécessité de « recréer les conditions de la confiance entre la population et les forces de sécurité [en réaffirmant] le sens de [leur] mission ». Un début de réponse au rapport, entre autres, de la commission d’enquête sénatoriale qui deux ans plus tôt soulignait déjà « le malaise des forces de sécurité intérieure », « un état moral dégradé » et « des méthodes de management inadaptées ». L’image de la police est loin toutefois d’être aussi abîmée que certains commentaires pourraient le laisser penser. À la question concernant sa perception des forces de l’ordre, le public affiche en effet un taux de satisfaction plutôt élevé avec 69 % d’opinions favorables (+ 3 points) selon le baromètre de la confiance politique du Centre de recherches politiques de Sciences-Po (CEVIPOF) publié en février 2021. Sans surprise, un consensus existe sur la nécessité d’avoir une police. « En revanche, dès lors que les questions portent sur la manière dont la police exerce ses missions, les scores sont bien moins élevés notamment par rapport à la moyenne européenne », relève Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des questions de police et auteur de l’ouvrage « De la police en démocratie » (Grasset, 2016).
Un rejet des pratiques de la police plus que de la police elle-même
Ainsi, si les forces de l’ordre sont perçues comme efficaces et rapides, elles enregistrent des notations bien plus médiocres concernant l’accueil et la non-discrimination. « En termes de services rendus, elles se situent tout en bas de la liste des 27 pays de l’Union européenne », note Sebastian Roché, « on constate en fait un rejet des pratiques de la police plus que de la police elle-même ».
La priorité est de rendre la police redevable aux citoyenset usagers.
Les différentes études ne relèvent aucun point fort. « C’est préoccupant alors que la dotation budgétaire allouée aux forces de l’ordre en France est bien supérieure à celle de pays comme la Grèce ou la Hongrie qui se retrouvent au même niveau, en bas de l’échelle. Il y a manifestement un problème d’efficience », souligne Sebastian Roché qui rappelle que « l’usager et la notion de services rendus au citoyen n’existent pas dans la notation des agents ».
Pas d’innovation systémique
Le contexte sécuritaire de ces dernières années a nettement compliqué le métier de policier. La pression terroriste, la multiplication des manifestations sociales (Nuit debout, loi travail, « Gilets jaunes »…) ou encore la gestion de la crise sanitaire ont nécessité une sollicitation sans précédent des forces de l’ordre. Dans un contexte aussi tendu exigeant la mobilisation de tous, certains observateurs regrettent que le Schéma national du maintien de l’ordre, présenté en septembre 2020 par le ministère de l’Intérieur, ait été établi par un groupe essentiellement composé de préfets et de policiers, sans y avoir intégré des médecins, des ONG, des élus locaux, des magistrats ou des universitaires qui auraient pu favoriser un regard plus divers.
Nombre de spécialistes des questions policières réclament également une plus grande ouverture du ministère notamment en matière de mise à disposition des données, condition première selon eux pour améliorer le fonctionnement des forces de l’ordre. « La priorité est de rendre la police redevable aux citoyens et usagers », lance Sebastian Roché, comme en Grande-Bretagne où sont élus dans chaque comté depuis 2012 des « Police and Crime Commissioners », chargés de vérifier l’efficacité des services de police, ou en Finlande où des enquêtes d’opinion sur le service rendu par la police sont régulièrement effectuées. « En France, il n’y a pas eu de réflexion en ce sens depuis le rapport Belorgey de 1982. Hormis des innovations techniques, notamment en matière d’armement, on n’observe aucune innovation systémique. Du coup, en ne s’appuyant sur aucune vision, les doctrines de sécurité du quotidien comme du maintien de l’ordre n’ont pas de sens ».
La sécurité intérieure : qui fait quoi
Les principaux acteurs de la sécurité intérieure sont la Police nationale, la Gendarmerie, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et les Douanes. À ces quatre administrations s’ajoutent les polices municipales, les gardes champêtres, l’administration pénitentiaire, les sapeurs-pompiers, la Sécurité civile mais aussi les polices privées n’agissant toutefois que dans le strict cadre de la subsidiarité (certains agents sont assermentés auprès du procureur de la République). À noter enfin que dans le cadre du plan Vigipirate (opération Sentinelle), les forces armées interviennent également.