L214, le poids des mots, le choc des vidéos
L’association L214 pour la protection animale s’est fait connaître par ses méthodes musclées et souvent controversées, mais qui font avancer les choses, tant elles bousculent les codes.
En 2003, Sébastien Arsac est un jeune homme inconnu, mais déjà très résolu quand il emprunte le caméscope familial et se fait passer pour un étudiant vétérinaire à la porte d’un élevage fabricant de foie gras. Quelques mois auparavant, il a créé le collectif Stop Gavage, et ce jour-là, il se souvient avoir filmé « dans un hangar où s’entassaient 800 ou 900 cages individuelles, dans lesquelles les canards ne pouvaient même pas se retourner ». Ses images émeuvent tous ceux qui les visionnent, c’est le début d’une nouvelle forme de militantisme, même si nous sommes encore loin des réseaux sociaux sur lesquels on échange désormais ce type de vidéos. Cinq ans plus tard, Sébastien Arsac fonde l’association L214 avec Brigitte Gothière, ancienne enseignante et militante végane, comme lui.
Leurs vidéos choc sont relayées sur Twitter, Instagram, SnapChat, YouTube, Facebook…
Ensemble, ils adoptent la caméra comme arme la plus efficace, et radicale, pour faire connaître leurs actions. Arsac réussit à se faire embaucher dans un abattoir de l’entreprise Charal, à Metz (Moselle). Il y filmera des scènes qui vont bouleverser l’opinion publique. A l’époque, en 2009, le ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire se dit profondément choqué et demande un audit sur l’ensemble des abattoirs français. Une vraie première victoire pour l’association. On ne le sait pas nécessairement, mais L214 tient son nom de l’article « L214 – 1 » du Code rural et de la pêche maritime qui reconnaît en droit français qu’un animal est un être sensible. Ses fondateurs ont fait des émules et sont devenus la bête noire des abattoirs et des élevages. Avec à chaque fois, les mêmes méthodes, les mêmes coups d’éclat, et surtout, une maîtrise totale des réseaux sociaux pour diffuser et populariser leur discours. Leurs vidéos choc sont relayées sur Twitter, Instagram, SnapChat, YouTube, Facebook…au point de fédérer une très large communauté, plutôt de jeunes gens, convaincus que la condition animale est un enjeu de société essentiel. Dans ce contexte, L214 n’a pas que des amis. La méthode « infiltrer, filmer, diffuser » agace nombre d’acteurs de la filière. Laquelle est désormais contrainte de s’adapter. Comme l’entreprise CyrHio basée à Montluçon, l’un des géants de l’élevage porcin, qui a pris les devants et s’est adressée à ses adhérents « pour limiter le risque d’intrusion dans les élevages (…) vous devez fermer systématiquement les portes d’accès aux bâtiments, clôturer les sites, installer un système de vidéosurveillance et vérifier qu’il n’y a pas de caméras cachées dans les bâtiments. Enfin, il faut avoir une tenue d’élevage exemplaire ». D’autres sont plus véhéments et critiquent très ouvertement les méthodes de L214. Hugues Moutouh par exemple, le préfet de la Drôme, confronté à une intrusion dans un élevage de dindes : « Lorsque vous rentrez la nuit dans un élevage, que vous publiez des vidéos diffamantes (…) que vous menacez de mort certains éleveurs, vous vous conduisez comme un terroriste ». Certains services de renseignement surveillent d’ailleurs de près les militants les plus extrémistes de cette association, mais également d’autres défenseurs radicaux regroupés dans des mouvements comme « Boucherie Abolition » ou « 269 Libération Animale » (269 étant le numéro correspondant à un animal destiné à l’abattoir). Mouvements que ne cautionnent pas les fondateurs de L214, qui savent parfaitement manier le choc des vidéos, et les mots qui servent leur combat.