L’économie se teinte de bleu
Le stade de l’invisibilisation de la valeur économique de la nature a été dépassé : cette valeur peut être mesurée. Les bénéfices économiques des services rendus par l’océan étant désormais actés, le secteur de la finance s’y intéresse.
Ce que l’on appelle la Blue economy associe développement économique et écologique. Comme l’explique très simplement Martin Quaas, chercheur allemand en économie de la biodiversité : « Il existe un prix du poisson sur terre, mais il faut établir un prix du poisson dans l’océan. Que devient sa valeur si on le laisse dans son milieu et qu’il se reproduit ? »
1,3 Md € de contribution des récifs coralliens français.
Le monde financier mise désormais sur les richesses apportées par l’océan et s’organise en coalitions pour catalyser et concentrer les efforts. A l’instar du Global Fund for Coral Reefs, lancé en septembre à l’initiative, entre autres, de BNP Paribas. Un fonds dédié aux écosystèmes coralliens. Classiquement, le secteur de la finance a accès à des partenaires, vise des objectifs sociétaux et environnementaux, mais surtout un retour financier. Or, si les écosystèmes coralliens ont des vertus écologiques indéniables comme nurseries ou purificateurs de l’eau, on commence à mieux appréhender leur valeur économique et sociale : atténuation des événements extrêmes en absorbant 97 % de l’énergie des houles et des vagues, sources de bioingéniérie, de matériel et de nourriture, pouvoir attractif pour le tourisme, etc. L’Ifrecor, l’initiative française pour les récifs coralliens, estime à 1,3 milliard d’euros la contribution des récifs coralliens, herbiers et mangroves de neuf territoires français dans trois bassins océaniques. Et 12 000 entreprises, 50 000 emplois et 175 000 foyers dépendent des services apportés par ces écosystèmes.
Des projets de restauration sous-évalués en termes de ROI
Un des leviers pour l’économie bleue, c’est la blended finance, un système de financement dont l’argent provient de sources diverses : fonds publics, privés et philanthropiques. Son avantage réside dans la réduction des coûts induits par le financement et en rendant les objectifs de développement durables (ODD) plus attractifs pour les investisseurs. Les habitudes des consommateurs sont clés pour amorcer la pompe. L’océan va ainsi s’inviter directement dans les portefeuilles. La startup française Greenly ou la suédoise Doconomy mesurent l’impact carbone de nos cartes de crédit et prônent le positive banking. La proposition d’offset de Doconomy est de faire ressortir l’impact négatif sur l’eau d’une transaction et, derrière, de compenser cet effet en plantant des mangroves ou des coraux. Une étude parue dans Science en février 2020 montre à quel point ces types de projets de restauration ont été jusqu’ici sous-évalués en termes de retour sur investissement. Souvent critiqués pour leur faible envergure, c’est pourtant cette échelle locale qui permet à ces projets d’augmenter la résilience de l’écosystème en initiant ce point de départ de la restauration, comme un espace de respiration. C’est aussi dans les écosystèmes côtiers que réside la richesse du carbone bleu. Avec 33 500 hectares de mangroves et 68 000 hectares d’herbiers, c’est l’équivalent de 2,5 millions de tonnes de CO2 qui sont séquestrées dans les territoires d’outre-mer chaque année. Et les sols de ces écosystèmes contiennent déjà un stock de 80 millions de tonnes. La valeur estimée des services rendus par la séquestration est ainsi de 175 millions d’euros ; la Nouvelle-Calédonie à elle seule comptant pour 85 % de cette valeur.